« Ce qui serait dangereux c’est que personne n’aide plus personne » déclare Jack dans La tendresse de Marion Hansel, un film essentiel.
Ce film nous offre de l’originalité au cinéma. Dans la structure du scénario, dans le maintien des relations, dans le choix des images, dans les anecdotes, les phrases, les regards.
Annoncé comme un road-movie, le film accompagne Lisa et Frans, séparés depuis 15 ans, qui doivent se rendre de la Belgique jusque dans les Alpes Françaises afin de ramener leur fils Jack. Moniteur, il s’est cassé la jambe en faisant de la planche à neige à la fin de son engagement. Il faut donc deux chauffeurs pour les deux autos du retour avec le fils et toutes ses affaires. Nous sommes avec le couple à l’aller et au retour ainsi qu’entre les deux, dans l’auberge pour rencontrer Alison la copine de Jack. C’est déjà une originalité que ce retour après le voyage de l’aller; c’est aussi inattendu que ce séjour entre les deux trajets. Marion Hansel innove donc, belle audace, agréable surprise, construction imprévisible.
Le film est essentiel parce qu’il présente les liens du couple, de la famille, de la société, dans l’amabilité, la coopération, la gentillesse, la tendresse. Frans remarque la constance des comportements de Lisa en posant sa main sur son épaule (peur en auto, cigarette); Lisa tourne vers lui des regards souriants (dans l’auto à l’allée et quand il repart, c’est d’ailleurs la dernière image du film).
Marion Hansel nous offre enfin ce que Richard Desjardins chante : « Quand j’aime une fois j’aime pour toujours ». Ce couple reste capable d’appréciation et de bienveillance; c’est une version rare de l’après-couple. La scénariste et réalisatrice avait l’intention de montrer un tel couple : « J’ai vu beaucoup de films qui racontent des ruptures Presque toujours cela se passe mal : un homme et une femme se sont aimés, ont fait des enfants ensemble, une fois séparés, ils se mettent à se haïr, se nuire ou ne veulent plus se voir. Cela m’a toujours paru étrange. Se sont-ils trompés à ce point? Comment l’amour peut-il se transformer en des sentiments si différents? Par contre, je n’ai pas le souvenir d’un film qui raconte une séparation où l’ex-couple continue à s’apprécier, s’entraider, et qui sait, à s’aimer encore ».
Aussi, les deux jeunes à l’hôpital ont un regard, un commentaire, de compassion envers le vieux monsieur malade. Frans s’entretient avec une fillette qui emprunte l’ascenseur du centre de ski pour aller chercher du pain. Un inconnu aide Lisa au péage et s’avère gentil, patient, de bonne humeur, malgré la file d’attente.
Quelques brièvetés pleines de tendresse. Amour d’antan, amour naissant; Lisa et Frans vers l’hôpital, Alison et Jack quittant l’hôpital, les quatre écoutent, à la radio dans l’auto, la même chanson. Puis, Lisa fait monter un marin-pêcheur dans le véhicule de son fils qu’elle conduit en suivant l’auto avec Jack et Frans pour revenir en Belgique. Puis, Léo qui continue avec un routier laisse un mot sur le pare-brise : « Je vous trouve très belle ». Et Lisa ponctue : « C’est une bonne nouvelle ça ».Un moment, un accord, une manifestation de tendresse.
Et il y a des scènes d’émerveillement dont celle où Lisa la nuit regarde le paysage et glisse sur les fesses dans la neige alors que Frans l’aperçoit et sourit. Elle aime la montagne dira-t-elle « depuis cette nuit ».
Il y a les anecdotes qui font contrepoids pour accentuer la beauté des autres situations, des autres personnes : Lisa se démène avec l’assureur qui raccroche, Frans est insulté par une femme qui lave le plancher dans la halte-routière.
La tendresse émane de ces réflexions qu’ils partagent sur ce qu’ils ont été en tant que parents : Lisa admet que souvent elle n’était pas avec son fils mais sur des tournages, Frans s’inquiète d’avoir manqué à son fils après la séparation du couple.
La tendresse est perceptible dans les cadrages et les images. Cadrages serrés sur les personnages pour être proches d’eux, cadrages panoramiques des paysages pour s’accorder à leur ampleur, poésie de la neige dès la première image quand Jack et Alison dévalent la montagne, gros plans de la neige, des lieux que la caméra détaille, pour révéler la beauté que l’attention permet de découvrir.
La tendresse encore dans le choix de la chanson du générique, autre révélation. André Bourvil, connu pour ses rôles comiques, chante les paroles de Noel Roux sur la musique d’Hubert Giraud. Cette chanson douce date de 1963 et du disque Au son de l’accordéon.
Faire voir, faire entendre, des images, des répliques, des scènes, des musiques, Marion Hansel avec La tendresse nous abreuve de ce qui prime, de ce qui reste, de ce qui nous manque, de ce qui est tangible, de ce qui est immatériel, de ce dont on a besoin, de ce dont on déborde, de ce qu’on réclame, de ce qu’on donne, elle nous réconcilie avec ce qui embellit l’être, l’existence, la beauté rare et essentielle de ce qui est ressenti, communiqué, de ce qui incarne l’Amour. Un film à voir, à revoir.
Chronique cinéma de mars 2014 sur