Woody Allen est définitivement un réalisateur à part… Comment peut-on réussir à réaliser un film par an et trouver encore des idées à développer, des personnages à explorer ou encore un angle à adopter, le tout sans jamais renier son style ? C’est pourtant ce que parvient à faire le réalisateur qui, avec "Blue Jasmine", a réussi à mettre le public et les critiques dans sa poche (ce qui n’est pas toujours le cas) et à faire oscariser son actrice, Cate Blanchett. Il faut dire que son interprétation est tout simplement bluffante, tant elle parvient à faire ressentir la détresse intérieure de son personnage, par ailleurs profondément détestable. Ce personnage fait, d’ailleurs, tout le sel du film, qui est construit autour d’elle et qui se refuse à toute complaisance. Dès les premières minutes, on comprend qu’on est face à une grande névrosée qui tente de faire bonne figure malgré une déconvenue récente. La mise en scène, riche en flash-back, de Woody Allen, révèle peu à peu le passé de son héroïne et, surtout, les tenants et les aboutissants d’une intrigue loin d’être aussi simpliste qu’on pourrait l’imaginer. L’intrigue est, ainsi, régulièrement, relancée par une nouvelle découverte
(la révélation du suicide du mari, l’arrivée du nouveau prétendant, l’infidélité de la sœur…)
qui vient renforcer, un peu plu, la complexité des personnages et la densité dramatique du film. Ces découvertes progressives permettent de donner assez de rythme au film pour qu’on ne s’ennuie pas… même si l’histoire piétine un peu, par moment (notamment lorsque Jasmine touche vraiment le fond). Heureusement, Woody Allen connaît son affaire et on peut compter sur lui pour insuffler un peu de son humour (surtout au début) et de son style (les plans séquences, les longues pages de dialogues…) pour que les défauts de son film passent sans trop de problème. Il se montre, par ailleurs, terriblement pertinent dans sa description des rapports familiaux et, plus particulièrement, du délitement de la relation entre Jasmine et sa sœur suite à son élévation sociale. Ce mélange d’amour, de non-dits, de jalousies et de rancoeurs est traité avec une grande justesse… tout comme la critique de l’arrivisme (ou de l’élévation sociale contre-nature) à laquelle se livre Woody Allen. On retrouvait déjà cette critique dans "Escrocs mais pas trop" mais elle est traité, ici, avec bien plus de radicalité… et on peut toujours s’interroger sur le bien-fondé de cette vision qui revient à dire qu’il faut se contenter de ce qu’on a sans chercher à s’extirper de sa condition. Car "Blue Jasmine" n’est rien d’autre que l’histoire d’un papillon de nuit qui s’étant brûlé les ailes à trop vouloir s’approcher de la flamme, objet de toutes ses convoitises (ici, une vie confortable et oisive l’éloignant de ses origines modestes). Autre point fort du film : le casting avec, autour de l’éblouissante Cate Blanchett, la pétillante Sally Hawkins en petite sœur admirative, Alec Baldwin en mari volage, la découverte Bobby Cannavale en petit ami plouc ou encore Peter Sarsgaard en potentiel mari. Petit bémol tout de même : le dénouement un peu simpliste de l’intrigue,
avec l’arrivée providentielle de l’ex (qui vient anéantir les plans de Jasmine)
qui fait un peu comédie à l’eau de rose. Heureusement, Woody Allen se montre beaucoup plus tranchant avec un ultime twist
qui donne une toute autre approche du personnage principal et de ses problèmes.
Au final, "Blue Jasmine" est une indéniable réussite… même si le film m’a moins enthousiasmé que le formidable "Minuit à Paris" ou le récent "Magic in the Moonlight"