Cate Blanchett est une immense actrice. Et Woody Allen lui offre dans ce film un rôle à sa mesure, celui d'une diva dans la dèche, dépressive, névrosée jusqu'aux prémices de la folie, conservant son caractère hautain et dédaigneux quand tout l'invite à l'humilité... Tout est parfait dans la composition de Cate Blanchett : sa gestuelle, sa diction, son regard perdu. Mais dieu que son personnage est antipathique... C'est un pari intéressant mais risqué, de la part de Woody Allen, de construire son film autour de cette femme insupportable. On peut facilement ne ressentir aucune empathie pour elle, pour le récit de ses misères, et, du coup, se désintéresser un peu du film, voire le prendre en grippe. Mais passons, c'est très subjectif.
Avec Blue Jasmine, Woody Allen revient donc aux États-Unis après avoir terminé son petit tour d'Europe touristique en trois films, qui l'a conduit à Barcelone, Paris et Rome. Il prend un sujet dans l'air du temps, temps de crise, avec cette broderie sur la déchéance sociale. Il ne s'intéresse pas à la paupérisation des classes basses ou moyennes, comme pourraient le faire un Ken Loach ou un Mike Leigh, mais à la dégringolade d'un certain gratin de la haute bourgeoisie. Soit. Il n'y a pas de mauvais sujet. Mais c'est l'approche qui déçoit le plus. Approche fondée sur une opposition on ne peut plus schématique et caricaturale entre le monde des rupins et le monde des prolos. La base du scénario semble avoir été écrite sur deux colonnes, en alignant de part et d'autre tous les clichés possibles et imaginables sur l'un et l'autre monde. Raffinement, élégance, oisiveté, vodka-martini, golf ou polo font écho diamétralement à beauferie, indélicatesse, boulot de caissière, bière-pizza, matchs de boxe... Et Woody Allen aime tant la symétrie qu'il imagine aussi des histoires d'amour parallèles pour les deux soeurs que tout oppose. Et là encore, le lit à baldaquin fait écho à l'amour sur la banquette arrière de la voiture, etc. C'est assez exaspérant. Tout paraît tellement artificiel dans ce film, tellement lisse. Et tellement écrit que c'en devient étouffant. Par ailleurs, l'humour qui se dégage de la confrontation entre les classes sociales est, au mieux, extrêmement cruel, au pire, assez douteux en matière de regard social. Où est l'ironie décalée et intello-bouffonne du réalisateur ? Woody Allen n'a pas réussi à trouver le ton juste de cette comédie dramatique.
Bref, ce Blue Jasmine est un film que l'on peut trouver bien peu aimable. Sentiment légèrement tempéré par la science de Woody Allen, sa maîtrise formelle, sa façon de tout dire en un minimum de plans, comme dans la séquence d'ouverture, pathético-comique, ou dans la scène de fin, assez noire et désespérée. On apprécie aussi sa dextérité narrative, allant et venant entre présent et passé, via des flash-back, pour expliquer progressivement la situation de l'héroïne ou accentuer le contraste "avant-après". Et puis il y a la direction d'acteurs, toujours très précise. Mais ces qualités ne suffisent malheureusement pas à sauver l'ensemble.