Comment faire du neuf avec un sujet rebattu, avec un mélo qui parle d'amour et de désir comme dans tant d'autres films, avec l'histoire d'une femme qui irradie et qui fait chavirer et qui fait entrer dans la déraison? "Grand central" donne la preuve, si besoin est, que ce n'est nullement l'originalité du sujet qui compte au cinéma, mais son traitement , son cadre, la direction des acteurs, l'inventivité de la mise en scène, etc.
La première originalité du film de Rebecca Zlotowski, c'est de l'avoir situé dans le monde méconnu, fermé, opaque, des travailleurs du nucléaire. Cela lui donne un ton inhabituel: tout le film est comme placé sous tension, le danger est présent, invisible, inodore, mais d'autant plus sournois. La réalisatrice n'a certes pas eu l'intention de faire un film militant, mais on ne peut pas rester indifférent au sort de ceux qui sont envoyés au coeur même des zones dangereuses, risquant ainsi à tout moment d'être les victimes d'une surdose de radiations. Cela remet tout de même sérieusement en cause le refrain lénifiant qu'on entend habituellement en France dès qu'il s'agit du bien-fondé de nos centrales nucléaires.
Mais laissons cela car ce n'est pas à proprement parler le sujet du film. Ce dont il est question, c'est non seulement des radiations qui émane du nucléaire, mais de celles que propage le personnage joué par Léa Seydoux. Saluons ici le jeu impeccable de l'ensemble des acteurs (Tahar Rahim, Olivier Gourmet, Denis Ménochet) et celui, remarquable, de Léa Seydoux (décidément une très grande actrice, capable de faire le grand écart, c'est-à-dire d'incarner, film après film, des personnages aux antipodes les uns des autres, interprétant aussi bien une hospitalière dans "Lourdes" de Jessica Hausner qu'une sorte de vamp dans ce film-ci).
Autre originalité du film de Rebecca Zlotowski, moins évidente que la première peut-être mais qui n'échappera pas au spectateur attentif, c'est la maîtrise de la mise en scène: tout le film est constitué de scènes très courtes, parfois un peu maladroites, un peu trop abruptes, mais la plupart du temps très justes et très intenses. Des scènes qui ne s'encombrent pas de fioritures, qui vont droit à l'essentiel, qui font percevoir les menaces qui pèsent sur les personnages, non seulement à l'intérieur mais à l'extérieur de la centrale nucléaire. Il y a les corps bien sûr, les corps qui s'attirent, se touchent, se repoussent, se battent, transpirent de peur, les corps lavés, récurés, pour les nettoyer de toute trace de contamination. Et il y a les regards: plus encore que les corps, ce sont les regards que Rebecca Zlotowski filme avec le plus d'intensité; on y trouve toute la gamme des sentiments, l'attirance, la fascination, la peur, la haine, le vide, l'absence, la détresse, etc. Il y a des échanges (mais aussi à d'autres moments des non-échanges) de regards entre Léa Seydoux et Tahar Rahim qui en disent plus long que tous les discours.
Ce film fort n'est certes pas parfait, mais il est habité, mais il donne à voir des personnages qui restent, qu'on n'oublie pas. Et l'on peut supposer qu'avec Rebecca Zlotowski on a affaire à une cinéaste qui n'a pas fini de nous surprendre. 7,5/10