D'amour fou et d'eau lourde....
Implacable plongée dans l'univers nucléaire, ce nouveau film de la cinéaste française entrelace les fusions les plus dévorantes, industrie, sexe, nuit, prolétariat, nature....
Rebecca Zlotowski nous a sidéré en 2012 avec "Belle épine" et Léa Seydoux qui y jouait une ado livrée à elle-même et tributaire de parents fantomatiques. Elle y a aussi capté le génie d'un lieu ténébreux à souhait - le circuit des "bikers" à Rungis, près de Paris - en mixant amour, solitude et beaucoup de mélancolie. Avec Grand Central, elle nous fait explorer unlieu tout aussi mystérieux et aussi anxiogène que les mines du temps de Zola. En dépit de son titre aux consonances étatsuniennes, le film nous véhicule dans une centrale nucléaire française (vraisemblablement l'une des trois centrales de la vallée du Rhône - Saint-Alban, Cruas, Tricastin - alors que c'est une centrale autrichienne jamais mise ne service qui a servi de décor pour le film). et dans le petit monde des moins-que-rien qui gravitent autour d'elle et qui, sans contrat déterminé, assument maintenance, assainissement et décontamination à l'intérieur des enceintes de confinement, tout près du coeur du réacteur nucléaire, là où les eaux des circuits barbotent pour absorber les neutrons et générer les vapeurs adéquates, là où les doses radioactives sont le splus fortes.
Avec Gaëlle Macé, sa scénariste attitrée, Rebecca Zlotowski a dû penser au percutant roman d'Elisabeth Filhol, "La Centrale" (éditions P.O.L., 2010), une des rares fictions française qui s'empare des réalités de l'industrie nucléaire. La cinéaste est aussi pionnière quand elle filme une passion d'amour à l'ombre des tours nucléaires. Depuis 1959 et "Hiroshima, mon amour" d'Alain resnais et marguerite Duras, le cinéma français a perdu les atomes crochus qu'il pouvait avoir avec une économie régulièrement remise en cause. "Grand Central" renoue ainsi avec un film majeur qui a ouvert quelques voies du cinéma moderne.
Rebecca Zlotowski a-t-elle également retrouvé "Casque d'or" (1952) de Jacques Becker? Rien n'est moins improbable. Simone Signoret, malgré le noir et blanc, y est aussi éclatante que la solaire Karole du "Grand Central". Et son amant (joué par Serge Reggiani) est un voyou incandescent nommé Manda. Celui que Karole (Léa Seydoux) emballe dès le premier quart d'heure est un garçon rieur et volontaire qui s'appelle aussi Manda mais se prénomme plus banalement Gary (Tahar Rahim). Il cherche à s'en sortir coûte que coûte, gagner de l'argent, trouver une famille et cesser simplement de survivre. Il se plie à une équipe que chapeaute un chef abrupt quoique prévenant (superbe Olivier Gourmet!) et s'attache à la communauté de ses collègues acculés à vivre entre la centrale, le mobile-home et un bar aussi glauque que chaleureux.
Rebecca Zlotowski nous emballe d'idoine manière. C'est comme si elle frottait l'histoire d'amour de Karole et de Gary contre anfractuosités de la centrale qui se déploie comme une succession aveuglante de cuves, de sas, de couloirs, de douches, de guichets, de passerelles. Karole et Gary brûlent dans la lumière, dans les herbes généreuses ou dans la nuit ondoyée par la rivière complice, sur une barque qui fait cap sur une obscure fission. A la centrale, la blancheur é"touffe toute effusion. La peur surgit partout, entre les mots, dans les regards. Ce seatr l'ultime mot de Karole. Alors que la contamination fait son travail. Sur la peau des hommes et des femmes. Dans leur corps chahuté par le désir, la jalousie etl'urgence de vivre.
Léa Seydoux et Tahar Rahim - risquons le mot! - irradient tout le film. Avec leur fragilité et leur fébrilité, ils lui inoculent ce délicat poison qu'est le "mélo" quand il n' a rien de lacrymal. Rebecca Zlotowski y veille sans cesse. Son film est immense. Plein d'énergie, de violence et de douceur. On ne l'oubliera pas de sitôt.
Manfred Enery (alias Fernand-Joseph Meyer)/ "Le Jeudi" du 5 septembre 2013/ hebdomaire de Luxembourg