Avec Grand Central, Rebecca Zlotowski nous raconte une histoire d'amour passionnelle ayant pour toile de fond une centrale nucléaire et les Hommes qui y travaillent. Si la vision sociale et la romance ne s’imbriquent pas toujours très bien, l'une restant tout au long du film nettement en retrait par rapport à l'autre, Grand Central reste néanmoins une œuvre forte et pénétrante.
La chronique sociale pétrie de convictions de ce lumpen-prolétariat de centrale nucléaire est très réussie, presque documentaire par moment et littéralement passionnante. Ces hommes et ces femmes travaillent dans les centrales, au plus près des réacteurs et effectuent les tâches jugées trop dangereuses pour les agents EDF. Ce sont des personnes issues de milieux extrêmement modestes, gens du voyages plus ou moins sédentarisés pour certains, jeunes sans qualification et sans attache pour d'autres. On les voit immédiatement comme les mineurs du XXIème siècle; ils vivent et travaillent ici et aujourd'hui et on ne les connaît pas. A d'autres moments, saisissant d'autres occasions d'emploi, ils font les cueillettes dans le sud ou en Espagne. Des tomates ou autres. "Des tomates CERISES !" précise d'ailleurs un jeune personnage, comme si ça changeait quelque chose. Les contrats dans les centrales leur permettent de monnayer au mieux leur absence totale de qualifications. "La première année du CAP. Enfin, plutôt les premiers mois" pour le héros. Et sans doute comme pour la mine autrefois, le métier se paie au prix de la santé, aussi dangereux qu'asservissant, mais presque paradoxalement, il est source de fierté, d'appartenance sociale et de solidarité. Ces êtres malmenés, qui mettent leur vie dans la balance et ressentent au quotidien le poids insupportable de la peur, sont aussi fiers d'être ceux qui affrontent les radiations "pour apporter la lumière."
Les images de la centrale nimbée de bleu électrique et des sas de décontamination sont aussi belles que saisissantes. La scène où une des femmes a le crâne rasé pour cause de compteur Geiger qui s'affole est peut-être l'une des plus fortes du film.
Mais à côté de cette restitution très forte, l'histoire d'amour manque un peu de relief.
Rebecca Zlotowski place les rencontres du couple adultère formé par Tahar Rahim et Léa Seydoux dans le plus bel environnement de verdure qui puisse s'imaginer: les bords d'une rivière exultant au cœur de l'été. Comme si avec l'amour, la nature gagnait pour quelques heures la bataille face à l'industrie au masque froid. Ce contraste vraiment réussi m'a rappelé les vers du Dormeur du Val de Rimbaud, où de la même façon, la plus douce des campagnes voisine avec la mort.
"Pâle dans son lit vert où la lumière pleut."
Peut-être par crainte d'en faire trop, la réalisatrice reste très discrète sur cette passion, n'en expliquant pas vraiment les motivations, n'en exposant qu'à peine les méandres. Cette discrétion, cette pudeur presque, nuisent à l'intensité de ce qui se voudrait comme une grande passion amoureuse et qui, malgré le charme des comédiens, reste une évocation à l'aquarelle.
Tahar Rahim, qui m'avait déjà convaincu dans Le passé de Farhadi, est sauvage et profond.
Léa Seydoux, dont le personnage est nettement en retrait, est quant à elle aussi à l'aise et aussi crédible dans un campement de caravanes que dans les rues du XVIème arrondissement.
De par son approche sociale originale et percutante, Grand Central est un beau film, qui aurait mérité un grand mélo. Dommage que Rebecca Zlotowski n'ait pas osé...