Après avoir connu un succès critique (13 prix) et public (1 131 154 entrées en France) avec « Little Miss Sunshine », le duo de réalisateurs Jonathan Dayton et Valerie Faris récidivent avec «Elle S’appelle Ruby». Opérant dans le même registre de la comédie douce-amère saupoudrée cette fois-ci de fantastique, les deux cinéastes mettent en images le brillant et original scénario écrit par l’actrice Zoe Kazan qui tient le rôle principal. Je dis «original» car, même si cette histoire est évidemment inspirée du mythe de «Frankenstein ou la Prométhée moderne», l’œuvre de Mary Shelley, et du mythe de Pygmalion et Galatée, comme l’a dit Michel Ciry : «L’originalité n’est que la vision nouvelle d’un thème éternel».
Le docteur Frankenstein du film se nomme Calvin Weir-Fields (interprété par Paul Dano), considéré comme “un génie” par le communauté littéraire après la sortie de son premier et unique roman, il est angoissé à l’idée de ne plus être à la hauteur de sa réputation. Solitaire et célibataire, les seules personnes à qui il confie son mal de vivre sont son frère et son psychiatre. Ruby Sparks apparaît à Calvin pour la première fois dans ses rêves et c’est cette muse onirique puis réelle qui sera le fruit de son inspiration retrouvée. Calvin va façonner sa création au fil des mots tapés sur sa machine à écrire, outil artisanal qui, bien qu’archaïque, est une formidable trouvaille car il accentue, à chaque lettre frappée, l’impossibilité d’un retour en arrière.
Ce qui, à mon humble avis, est LA réussite de ce long-métrage, est l’impressionnante performance de Zoe Kazan dont le personnage passe par de nombreuses personnalités et émotions durant le film. Je ne vais pas tout vous dévoiler mais, par exemple, au départ, après quelques pressions sur le clavier de sa machine à écrire, Calvin s’amuse notamment à la faire parler couramment l’italien (Ruby parle le français dans la VO). Bref, ce qui est aussi intéressant est que de simple marionnette qui obéit au doigt et à l’œil à son ventriloque, Ruby va peu à peu s’humaniser, prendre son indépendance et devenir un vrai casse-tête pour Calvin.
Doit-il la laisser s’émanciper au risque de voir s’échapper la femme qu’il aime ? Est-elle condamnée à être l’esclave de l’imaginaire de Calvin ? En vérité, quel homme n’a jamais rêvé de modeler la femme de ses rêves ? Mais ce que nous rappelle ce film est que la perfection ne fait pas partie des attributs de l’humain. D’ailleurs, c’est paradoxalement en cherchant à rendre Ruby «parfaite», en la manipulant tel un Rubik’s cube, que Calvin perd son humanité.
Après sa performance saluée dans la peau de l’adolescent mutique de Little Miss Sunshine, Paul Dano retrouve Jonathan Dayton et Valerie Faris pour leur deuxième coréalisation. A mes yeux, le comédien, campant un auteur introverti et torturé qui de fil en aiguille se métamorphose en un monstre cynique, livre une belle prestation. Après une traversée du désert et des retrouvailles avec Pedro Almodovar dans «La piel que habito», Antonio Banderas réapparaît, de manière inattendue, mais plutôt rafraîchissante, en beau-père artiste-ébéniste hippie. Quant à Annette Benning, elle est surprenante en maman New Age, accro aux plantes médicinales. Voilà toutes les raisons pour lesquelles, à mon sens, «Elle s’appelle Ruby» est un film sans prétention qui mérite d’être vu.