Spoilers dans la critique.
Que faire quand on a créé un succès ? C'est la question que se pose le jeune auteur interprété par Paul Dano, qui après un premier roman best-seller connaît la panne sèche ( comme le mini-van de Little Miss Sunshine ). C'est peut-être aussi ce qui a hanté Valerie Faris et Jonathan Dayton, qui après un premier film acclamé et rempli de qualités, ont mis six ans à enchaîner pour le cinéma. Que faire, donc, quand une création artistique est plébiscitée par le public et la critique à tel point que cela pourrait vous faire perdre le sens des réalités ? Il fallait bien un postulat fantastique pour souligner l'étrangeté d'une telle situation, et celui de Ruby Sparks est des plus originaux. Disons-le d'emblée, ce que le film ne propose pas en inventivité narrative ( que peut générer un sujet semblable ), il l'acquiert en émotions. Le scénario de Zoe Kazan explore davantage la voie de la comédie romantique que celle du film de science-fiction, se focalise plus précisément sur la profondeur des personnages que sur la mécanique du récit. Par le prisme de son personnage principal, à la fois auteur et homme amoureux, il se livre également à une charge contre l'idéalisation. Idéalisation de la fiction donc, mais aussi des rapports amoureux et de la vie de couple. Et les deux vont de pair ici, car Ruby Sparks est le contraire d'une comédie romantique niaise et remplie de guimauve. En disséquant la relation qui unit le couple, le film est à l'opposé du cliché selon lequel l'amour est un long fleuve tranquille. C'est que, soumis à l'épreuve de la routine et du temps, de la découverte en profondeur ( sans jeu de mots ) de l'autre, il y a forcément quelque chose - que nous ne montre pas toujours Hollywood - qui se perd.
Ou se transforme.
Le film dit à la fois quelque chose de l'amour, le vrai, pas idéalisé, et des fictions qui le mettent en scène en occultant sa part plus contraignante. On pourrait dire que quand l'imagination et le fantasme dépassent la réalité, il est certes plus tentant d'imprimer l'imagination et le fantasme. Mais face à la réalité, ils ne valent plus grand-chose. A la manière d'autres excellents films au sujet aussi dingue ( Last Action Hero par exemple ), Ruby Sparks montre - à la grande joie de Truffaut - que la fiction est bien plus agréable que la réalité. Mais là où Kazan, Dayton et Faris prennent le contre-pied d'oeuvres célébrant la perte dans l'imaginaire, c'est donc dans la seconde partie du film,
véritable virage scénaristique qui fait voir les choses sous un autre angle.
Ce qui subsiste, néanmoins, c'est l'absurdité du film, sa légère loufoquerie, qui compensent donc l'absence de profondeur du récit et des potentielles interrogations pirandelliennes. Mais puisque ce ne sont pas des personnages qui sont en quête d'auteur ici, mais l'inverse, on comprend que le film ne fait pas les choses comme on les attend, et c'est tant mieux. Il faut terminer en parlant de Paul Dano, acteur parmi les plus intéressants du moment, tout en retenue, jamais dans le passage en force, mais pourtant très présent. Ses rôles chez Dayton et Faris sont dans le fond plutôt similaires : à chaque fois ses personnages ont du mal à s'exprimer ( le frère muet dans Little Miss, l'auteur en panne dans Ruby Sparks ), mais ça n'est pas le cas de l'acteur, qui apporte toute sa puissance discrète aux personnages qu'il incarne.