Son premier film, Incendies, subtile et captivante adaptation d'une pièce de théâtre diablement retors et, l'année dernière, le succès public et critique de Prisoners, ont propulsé le cinéaste canadien, Denis Villeneuve vers les sommets. Le réalisateur ne tarde pas à refaire parler de lui en livrant il y a peu un certain Enemy, film nettement plus personnel, disons expérimental. Celui-ci, tourné préalablement au conventionnel mais efficace Prisoners, bénéficie clairement d'une promotion toute luxueuse alors qu'il aurait été difficile à distribuer précédemment. Oui, Denis Villeneuve n'est pas uniquement un réalisateur talentueux, il est aussi tacticien, patient. Sur ce fait, la voici qui livre un film bien moins intéressant, a priori, mais qui reflète d'avantage sa physionomie du cinéma, Prisoners, malgré ses qualités, n'ayant été qu'un film de commande. N'oublions pas pour autant qu'Enemy est une adaptation d'un roman.
Pour la première fois, chronologiquement, le metteur en scène travaille au coté de Jake Gyllenhaal, comédien en plein montée en puissance qui trouve ici matière à laisser exprimer tout son potentiel. A la fois sensible et vulnérable, l'acteur démontre aussi, par le biais d'un double, qu'il peut aussi composer un personnage inquiétant, vorace. En dépit de cette performance d'interprétation, Enemy ne parvient pourtant pas à réellement captiver. Le rythme, pachydermie, n'aidant pas, les conclusions de cette drôle d'histoire se font attendre, le tout sous une consistante masse musicale omniprésente, une bande-son vintage qui sonne comme un rappel des ambiances thrillers d'autrefois. On se dit que, somme toute, Denis Villeneuve n'est peut-être pas aussi indépendant qu'il ne le laisse paraître.
Le cinéaste, ayant pris place dans les méandres de la plus américaine des villes canadiennes, Toronto, tisse sa toile contemplative en usant et abusant des teintes sépias, jaunissant tout sur son passage, hormis les nombreuses zones d'obscurité qu'il utilise pour renforcer une certaine noirceur dans son récit. Par ailleurs, le beauté des femmes qui accompagnent notre principal intéressé, ou nos deux principaux intéressés, contraste avec le pessimisme du propos, soit la dépression, la perversion ou l'aliénatioin. Oui, Mélanie Laurent et Sarah Gadon sont les deux rayons de soleil du moment. Mais sont-elles vraiment utiles? Rien n'est moins sûr.
Dans l'ensemble, Enemy n'est pas très convaincant. De bonnes idées sont exploitées, aux travers du scénario ou encore de la mise en scène, mais peut d'entre elles aboutissent quelque part ou ne servent réellement de plus-value à un film finalement brouillon. Denis Villeneuve avait quelque chose à raconter, sans conteste, mais ne sera pas parvenu, à l'instar de bons nombre de metteurs en scène s'esseyant au cinéma expérimental, à faire de son récit quelque chose d'appréciable au cinéma. L'originalité c'est bien, reste qu'il faut garder pour autant les pieds sur terre. Voilà donc que le cinéaste du sublime Prisoners démontre qu'il est aussi capable, comme bon nombre, de se prendre les pieds dans le tapis. 07/20