Cet "Enemy" est un sacré mindfuck, pour le coup une aspirine, un second visionnage et une aide extérieure (en l’occurrence les internautes et une poignée d'interviews du réalisateur) n'ont pas été de trop pour déterminer un sens plausible au film parmi les trouzaines de pistes qu'il lance. A en juger par les notes relativement basses des spectateurs, j'imagine que ceux-ci s'attendaient davantage à un thriller dans la veine de "Prisoners" qu'à cet OVNI Lynchéen. Pourtant le film annonce d'emblée la couleur dès sa première image, à savoir un fond noir qui font ressortir quelques mots: "Le chaos est un ordre pas encore déchiffré", qui qualifient direct le film d'énigme destinée au spectateur que Denis Villeneuve invite à se triturer les méninges. En ce qui me concerne j'ai aimé, voire plus que ça car c'est difficile à transcrire avec une simple note mais le cœur de ce film est absolument bluffant. Si j'avais quelques reproches à faire ils seraient au niveau de la forme du film. Pas de la réalisation qui est excellente, à la fois sobre et extrêmement riche de détails à chaque image et baignée dans un filtre jaunâtre qui tranche parfaitement avec l'obscurité de l'image, ni au jeu d'acteur puisqu'on connait tous le talent Jake Gyllenhaal, changer de personnage comme de chemise au cœur d'un même film ne semble lui poser aucun problème. Je dirais simplement que le film est trop lent dans le déroulement de ses actions, un film d'auteur n'a pas forcément à être tourné au ralenti pour être pertinent or c'est un peu le cas ici. Ça passe forcément par la direction d'acteur, notamment dans le débit de paroles de Jake Gyllenhaal parfois excessivement lent. Ça passe aussi quelque part par la réalisation qui,n si inventive soit-elle, est avare en mouvements de caméra, privilégiant largement les plans-séquences ce qui peut s'avérer presque soporifique pour un public non averti. Mais le cœur du film, plus que sont intrigue en elle-même, est sa portée symbolique, et là chapeau bas à Denis Villeneuve. L'histoire n'est pas compliquée en elle-même, c'est rarement le cas lorsqu'on commence à creuser sous la surface d'un film:
Adam est un homme frustré par les barrières imposées par lui-mêmes ou les différentes figures féminines de sa vie (représentées par les différentes formes d'araignées), qui l'empêchent de vivre pleinement celle-ci qu'il s'agisse d'un niveau sexuel, professionnel ou sentimental (la véritable scène-clé de la compréhension du film est d'ailleurs le cours d'Adam sur la notion de contrôle, et le fait qu'il soit répété deux fois à l'identique est loin d'être anodin). Pour moi (et c'est l'interprétation la plus répandue vis à vis du film), Anthony n'est qu'une projection d'Adam, un idéal identique au modèle mais qui lui profite pleinement de sa vie, le cadre de l'histoire étant le subconscient d'Adam. Le reste n'est qu'une suite logique de tout ça.
Un film sur les problèmes existentiels communs à chacun donc, mais présentés sous un angle inhabituel. Cela fait de "Enemy" une étrangeté difficilement abordable, mais aussi un des films les plus intrigants et les plus intéressants de l'année. A part pour "Her" et peut-être à la limite "Only Lovers Left Alive", je n'avais pas potassé comme ça les tenants et aboutissants d'un film de cette année jusqu'à celui-ci.