Pour la critique d'Enemy, cinquième film du canadien Denis Villeneuve, on va un peu modifier les habitudes (comme le fait le film, toute proportion gardée) en commençant par parler d'une des affiche du film.
Celles-ci sont toutes vraiment très belles et très originales mais une se détache des autres lorsque l'on a vu le film. Celle avec la bouille de Gyllenhaal où le haut de son crâne dessine la ville de Seattle avec une sorte d'araignée la surplombant.
Elle résume à elle seul le long métrage de Villeneuve, si Prisoners était un film de commande (y'avait un script, fallait un réal, c'est tombé sur Villeneuve) et donc un film à la mise en scène plus modeste (sans pour autant être mauvaise), ici on assiste à un pur produit Made in Villeneuve. Il s'agit de son script (écrit avec son co-scénariste Javier Gullon), de sa mise en scène, aucune société de production pour le faire ch*er, c'est son délire.
Et son délire serait à ranger du côté du surréalisme avec cette ville aux accents si familiers et pourtant semblant si imaginaire aux yeux du spectateur. Villeneuve s'amuse énormément avec les perspective et l'architecture de certains immeubles aux formes arrondies, à la limite du déformées. On assiste même à un plan de la ville en contre-plongée, scindé en plusieurs parties par des câbles électriques. Cette ville est à l'image de l'état mental de son personnage principal, incapable de discerner le vrai du faux comme le spectateur alternant le point de vue adopté, tantôt celui d'Adam Bell (Jake Gyllenhaal) à celui d'Anthony Saint Claire (Jake Gyllenhaal bis). Cet esprit de confusion est symbolisé par cette araignée, de simple mygale à la scène d'ouverture à un véritable cauchemar de 2 mètres de haut à la fin, les incertitudes de Bell et du spectateur s'accentuant à mesure que cette araignée grossisse.
L'histoire n'est alors (malheureusement) qu'un prétexte à la mise en scène, se résumant à la recherche du double pendant 50 minutes et à la confrontation des deux pendant les 40 dernières minutes, elle-même se résumant à un anti-climax dont l'on pouvait attendre quelque chose de bien plus vicieux. L'ambiance n'en reste pas moins excellente, angoissante et intrigante à la fois avec sa musique aussi tendue que les câbles électriques de Seattle ainsi qu'à sa photographie jaune pisse à la Jeunet donnant un aspect repoussant aux intérieurs, ça et la noirceur de ceux-ci.
Jake Gyllenhaal retrouve pour la première fois Denis Villeneuve, paradoxe s'expliquant par le fait qu'Enemy ait été tourner avant Prisoners et signe un joli retour aux sources avec son personnage proche de Donnie Darko, l'adolescent schizophrène du film éponyme de Richard Kelly. Schizophrène, dans ce film, il l'est peut-être... peut-être pas. Encore une fois, le réalisateur canadien laisse le choix au spectateur quant à une plausible explication à tout ce thriller, il dissémine quelques indices par ci par là mais en laissant aux spectateurs les interprétations de ceux-ci.
Enemy est donc une oeuvre très spécial, qui ne se fera pas que des amis et en laissera beaucoup sur le carreaux de par son absence d'histoire vraiment accrochante et son aspect surréaliste brouillant quasiment toutes les pistes et nécessitant quelques instants de réflexions avant de trouver une cohérence au long-métrage.
Un exercice de style en attendant de re -"tourner" à Prisoners.