Absence totale de dialectique. Le point de vue du héros est le seul qu'on nous propose, pitoyable et irritant lamento d'un homme qui se croit supérieurement intelligent et qui est persuadé d'avoir réussi économiquement alors qu'il n'est qu'un médiocre et inutile petit cadre d'entreprise. Le pire c'est qu'il n'arrive même pas à sauver quoique ce soit de sa propre fonction, à éprouver de la sympathie pour un collègue ou à trouver du réconfort dans un moment de rêverie dérobé au travail. Il les dénigre tous, et aggrave encore plus son sort en regardant son entourage à travers le prisme de sa misanthropie. Le type traite les femmes comme des bouts de viande, n'a aucun humour, aucune élégance, aucune dignité, et s'étonne qu'elles le rejettent. Morale de l'histoire : après une longue déchéance il couchera peut-être parce qu'il a enfin pris la décision de suivre un cours de danse pour égayer sa vie médiocre. Ça valait bien deux heures de film pour en arriver là. Le minimum syndical aurait été de traiter cet être avec le minimum de ridicule qu'il mérite, mais tout est vu ici avec un sérieux plombant comme si on nous montrait là une vérité universelle. On tient en se disant que ça dit quand même quelque chose de son époque, des années 90, ou que c'est un portrait assez juste d'un trentenaire cadre dépressif, mais il n'y a pas un moment d'échappée, pas un moment de souffle, pas un moment de poésie, pas une seule sensibilité pour les autres, pas une seule prise de distance avec soi-même, et, dans ce prodigieux ennui, il n'y a de la place que pour la morosité et le désespoir comme si ces dernières étaient inévitables. Aucun second degré, aucune ironie ne viendra au secours de cet esprit morne et désabusé. De même, on ne le verra durant tout le film traversé par aucune velléité de changement matériel ou d'émancipation. Le pire, c'est que le personnage est persuadé de bien comprendre sa situation économique et passe son temps à dire, dans un langage pseudo-marxiste assez foireux, que s'il n'est pas parmi les gagnants sur le marché de l'amour, il l'est du point de vue professionnel. Il ne comprend pas que son job est lui-même un job d'exécutant sans responsabilité sans-doute pas si bien payé et s'imagine être riche alors qu'il conduit une voiture minable, vit dans un appartement minuscule avec presque pas de meubles (pas de lit, il dort sur un clic-clac dans son salon), porte des vêtements moches, mange de la nourriture industrielle, et a juste de quoi s'offrir un restaurant chez flunch durant ses déplacements professionnels. Il incarne typiquement le prolo légèrement embourgeoisé parce qu'il a fait des études, persuadé qu'il a touché le gros-lot alors qu'il continue à faire des boulots de subalternes et ne connaît absolument rien de la vie de la grande bourgeoisie, il n'a même pas idée de ce à quoi cela ressemble. C'est bien pratique pour ces derniers qu'on les mette dans le même sac que des petits cadres sans envergure, et ils seront certainement très prompts à verser une larme pour ce petit employé depuis leurs grands yachts à Saint-Trop, mais si le personnage commençait à voir que sa dépression n'est peut-être pas due au déclin général de la civilisation ou au "consumérisme" pris dans sa généralité comme il semble le croire (comme si cela avait une réalité, comme si tout le monde, riches et pauvres, consommaient de la même manière et de façon aussi abondante), mais qu'elle vient surtout du fait qu'il est exploité dans un travail vide de sens qui est le pur produit de la désindustrialisation des grandes villes européennes (ce qui signifie tertiarisation des emplois), de l'uniformisation des modes de vie que produit le capitalisme afin de vendre en grande quantité des objets peu chers (y compris des logements minables comme le sien, sous forme de barres d'immeubles construites à la chaîne) et de la déconnexion entre travail et satisfaction d'un besoin réel à l'ère du capitalisme tardif et de la financiarisation. Bref, s'il comprenait un tant soit peu que son malheur et la laideur de son environnement ont des causes politiques, il n'en serait sans-doute pas là à se lamenter sur son sort avec suffisance, persuadé comme beaucoup de cadres d'être si malin parce qu'il s'est un peu élevé socialement mais ne comprenant toujours pas qu'il est encore le dindon de la farce. Cinématographiquement : aucun intérêt, le film récite en voix-off des passages du livre, les cadrages sont d'un convenu lassant et les plans ne prennent même pas le temps de s'étendre un peu pour nous faire goûter à la solitude du personnage. Aucune ambition artistique. Récit égotique de quelqu'un qui croit dénoncer l'individualisme alors qu'il en incarne la forme la plus aboutie: l'indifférence totale aux autres et au reste du monde. Pire : haine des autres, haine du monde. Le degré zéro de l'humanité qui se meut lentement en une psychologie fasciste et un désir nihiliste de mort, de destruction totale de soi et des autres, et toujours dans la plus grande lâcheté et complaisance avec soi-même. A juste le mérite de donner envie de vivre pleinement par opposition.