Alceste le misanthrope, version 2013, un bon film français. Où le ton affecté d'un Luchini passe très bien, tout à fait adapté au point que l'on peut même oublier que c'est Luchini, pour ceux que l'acteur agace. Une distribution judicieuse, donc, et un scénario élégant, intelligent.
Serge (Fabrice Luchini) et Gauthier (Lambert Wilson) ont tous deux des points communs singuliers avec les personnages de la pièce de Molière, Alceste, le misanthrope et Philinte, le béni-oui-oui qui accepte les pires aspects de notre société. Et justement, ils vont ensemble répéter à tour de rôle, les rôles d'Alceste et de Philinte. Ce qui donne lieu à des échanges bavards, certes, mais Molière, acceptons-le, c'est bavard ! On n'a plus trop l'habitude, à force de regarder des thrillers américains ou des comédies faciles, de suivre des films à texte. Or justement l'intérêt est ici dans le texte. Il ne faut pas longtemps au spectateur, de toutes façons, pour comprendre la problématique du film, puisque la clé de la réflexion est offerte assez vite : finalement l'intransigeant Alceste n'est-il pas le plus optimiste de tous, puisque lui au moins, conçoit que la nature humaine pourrait être bien meilleure qu'elle n'est, hélas. Quant à Philinte, à force d'admettre toutes les pires bassesses de l'être humain, n'est-il pas un pauvre pessimiste, un desperado irrécupérable ? Lequel des deux porte en lui le plus d'espoir, et comment l'histoire va-t-elle les rattraper l'un comme l'autre ? Edifiante sera la chute du film...
Un petit coup de chapeau à la gentille moquerie sur les téléfilms français. Gauthier est l'acteur coqueluche d'une sorte de série télévisée où il joue le rôle d'un génial médecin du cerveau. Scénario convenu, répliques attendues, mièvrerie, tous les ingrédients du navet sont présent. Et Luchini de se gausser, suffisant, là il est vraiment Luchini, hors du rôle, le même qui passe et fait le buzz dans les émissions de télé, mais très vite il se calme et à nouveau il est bel et bien Serge, celui qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Alceste.
Quant au reflet de notre société actuelle, il est bien présent dans le film, avec notre nouvelle expression à la mode "J'EN AI MARRE !"... Eh oui, bingo, il l'a dit, Alceste, tombant de vélo, ce "j'en ai marre" que vous entendez à présent partout, dans le métro, en voiture, au marché. Ce "j'en ai marre" expression-bilan, d'une dépression globale qui vous cerne par surprise, vous, passant, spectateur impuissant, qui vous sentez cependant vaguement concerné. T'en as marre de quoi, précisément ? la question est intéressante, car si celui qui en a marre ne précise pas l'objet de son ressentiment, il est facile alors d'imaginer que ce ras-le-bol est général, vous englobe vous aussi, pauvre passant qui croisiez la route de l'énervé. Peuple de déprimés, peuple de misanthropes, est-ce ainsi que nous mutons tous en 2013 ? avec ce gémissement quasi enfantin "j'en ai marre", sans trop identifier la cause : ras la casquette, plein le dos, j'en peux plus, je vous hais tous ! grrrrrrrrrrrr....
Vraiment ce film vous laisse un parfum longtemps après, une réflexion posée sur le bien et le mal, on a envie d'y repenser encore. Du bon cinéma, enfin.