Ah mes amis, qu’est-ce que ça fait du bien de se replonger dans les vieux films ! D’une part parce que la nostalgie du temps passé ne tarde pas à se faire sentir au vu des véhicules d’antan et quand on découvre combien il était encore facile de se garer à Paris, d’autre part parce qu’en ce temps-là le cinéma français savait faire des films, et enfin parce que c’est la seule et unique fois où Jean Gabin, Alain Delon et Lino Ventura sont réunis dans le même film. Trois monstres sacrés du cinéma hexagonal pour les trois rôles les plus importants de ce film. Inutile de faire durer davantage le suspense, le titre nous dirige sans détour vers un polar comme Henri Verneuil savait les faire, classé aujourd’hui comme un classique incontournable. Les trois acteurs occupent sans surprise les rôles qui leur ont été attribués. Si je dis « sans surprise », c’est en raison de leur profil de comédien. Ainsi on retrouve Jean Gabin dont l’immense charisme est au service d’un patriarche, à la tête d’une famille qui ne vit que pour la famille et à travers la famille, dont les origines siciliennes servent le cliché de la mafia. Attention, ça ne veut pas dire pour autant que tous les siciliens sont des mafieux ou des membres de la pègre, loin de là et fort heureusement. Mais (hasard !), Gabin occupe ce rôle-là. A ses côtés, nous avons Alain Delon dont tous les traits de la jeunesse viennent servir son personnage, un criminel notoire qui (hasard !) est en tôle. Et enfin, la ténacité de Lino Ventura vient alimenter les talents nécessaires au poste de commissaire, dont les méthodes se révèleront peu conventionnelles. Mais bizarrement, les trois têtes d’affiche ne seront jamais réunies sur un même plan de caméra. Nous avons seulement deux confrontations directes, la première entre Delon et Ventura, et déjà on sent qu’il se passe quelque chose de spécial. Du côté de Sartet (Alain Delon), on sent le défi, l’arrogance. Du côté du commissaire Le Goff (Lino Ventura), on ressent tout le mépris qu’il a pour ce jeune criminel. On n’a même pas besoin de voir son visage ! Le voir simplement de dos suffit à faire ressortir toute son incroyable présence, attentif comme jamais et désireux de voir enfin le point final mettre un terme à une enquête qu’on devine difficile et mouvementée. Le casting, complété par Irina Demick (laquelle, en la personne de Jeanne, amène du charme et un peu de glamour dans ce monde on ne peut plus sérieux), André Pousse (Malik) et Amedeo Nicosia (Tony), est certes prestigieux, mais nous savons tous qu’un casting, aussi renommé soit-il, ne suffit pas à faire un bon film. Reposant sur le roman éponyme d’Auguste Le Breton, le scénario a été rédigé avec une rare maestria. Il mène de front plusieurs intrigues, lesquelles sont toutes habilement entremêlées : une implacable chasse à l’homme, et un affrontement entre un jeune loup et un vieux parrain qui n’a de cesse de monter en intensité par l’irrémédiable hostilité grandissante entre les deux hommes. Henri Verneuil, qui a participé à l’écriture du scénario, parachève le boulot avec une réalisation impeccable, superbe de tension et de suspense. Très tôt, il fait parler toute sa maîtrise en la matière avec la longue séquence de l’antique panier à salade (« antique » parce que j’écris cette note aujourd’hui, soit près de cinquante après la sortie du film). Non seulement il a su installer le suspense et la tension qui y est liée, mais en plus il sait les faire durer. On regrettera presque que les dialogues n’ont été créés par la plume inimitable de Michel Audiard. Qu’importe, "Le clan des siciliens" se veut sérieux, et assurément il l’est. Même s’il n’y a rien à redire dessus, les répliques sont bonnes et certaines fusent pour sortir du lot, la plus notable d’entre elles n’étant pas une réplique mais… une baffe monumentale ! ☺ Bref mieux vaut réfléchir à deux fois avant de s’adonner à « la photo d’art »… "Le clan des siciliens" aurait pu se contenter d’être purement et simplement un polar, comme Verneuil l’avait fait avec le mémorable "Mélodie en sous-sol". Provoquée par le twist final amené par le gamin, une petite touche de dramaturgie vient parachever l’intrigue. Cela permet de mettre le mot « Fin » sur la traque, sur l’hostilité que se témoignent Vittorio Malanese et Roger Sartet, et sur les jeux dangereux auxquels se livre Sartet. Rien n’a été laissé au hasard, et aucune question ne reste en suspens dans l’esprit du spectateur. Au contraire, celui-ci aura la sensation d’avoir vu un excellent film. Il faut dire que la Fox a donné les moyens à Verneuil, du fait qu’elle avait pour but de distribuer le film aux Etats-Unis. Le cinéaste a mis à profit le budget alloué en allant filmer les avions au plus près sur le tarmac. Il en résulte des séquences impressionnantes. Après, les effets visuels sont ce qu’ils sont aujourd’hui, mais pour l’époque, ils étaient au top ! Cependant, il y a des inexactitudes concernant la compagnie aérienne : non seulement elle n’utilisait pas de DC-8 mais principalement des DC-4, mais en plus, n’étant pas autorisée à opérer hors des Etats-Unis, elle a cessé son activité en 1950 en se faisant acheter par la Pan American ! Quelques autres inexactitudes parsèment le film, comme le développement du négatif sous lumière rouge alors qu’il doit se faire dans le noir complet, ou comme la scène un peu forte de café lors du découpage de la tôle d’acier dont le bruit est supposé être en réalité strident, sans même parler du dégagement d’odeur d’acier surchauffé. Pas de quoi enlever toute la qualité du film qui vous fera passer efficacement deux heures de votre temps, même si ces petits bémols m’empêchent de donner la note maximale. Il n’empêche qu’on termine ce film sur une bonne note, assez paradoxale si on y réfléchit bien : Malanese a beau n’être rien d’autre qu’un malfrat
(quoiqu’avec un côté noble par rapport au point d’honneur qu’il met à ne tuer personne)
, on éprouve de la peine pour lui. Plusieurs raisons probables expliquent certainement ce sentiment : son âge, cette force tranquille qui le caractérise, et puis… on l'aime, notre Gabin national !