Marvel, Dc, deux noms qui se ressemblent un peu trop, depuis quelques années : synonymes de gros blockbusters à l'humour qui tâche, prenant souvent le pas sur les enjeux (jamais sur l'action, qui reste au centre des films formatés de ces deux grands noms de l'édition de comics) et toute réflexion possible, ces deux géants du cinéma, appartenant respectivement à Disney et Warner Bros, pourraient avoir trouvé un nouveau concurrent en la personne de Valiant Comics, boîte indée qui débarque avec Bloodshot sous le financement généreux de Sony Pictures (45 millions de dollars de budget pour un premier essai, pas trop mal non plus). .
Qui décida de sortir le film en VOD plutôt qu'au cinéma, prétextant le coronavirus et espérant que le service d'offre à la demande lui offrira une autre destinée au box office que la maigre espérance de le voir se rembourser au cinéma. Dès ses premières minutes, on est bien loin d'un long-métrage qui pourrait sortir dans nos salles obscures, sa personnalité de dtv daubesque renvoyant chaque seconde à sa triste destinée en VOD.
Triste destinée pour Baboulinet, qui voyait surement en Bloodshot la possibilité de donner un certain coup de vent à sa carrière : après l'extinction de la franchise qui le fit connaître, le dernier Riddick datant de 2013, et les derniers jours annoncés de la saga Fast & Furious (la seule qu'il lui reste, soyons honnête), le timing était bon pour se relancer sur le devant de la scène avec l'arrivée sur les écrans de ce qui s'annonçait comme le futur géant Valiant. C'est en effet ce que laissait présager l'annonce du film avant les premières bande-annonces; évidemment, quand on voit le résultat (en VOD, on ne le précise jamais assez), on comprend qu'il se range plus du bord d'XXX 3 que de celui du relativement moins mauvais Le Dernier Chasseur de sorcières.
Il faut bien comprendre que prendre Vin Diesel pour jouer Bloodshot est aussi stupide que de choisir Jason Momoa pour jouer The Crow. Ce n'est pas qu'une question de physique; son interprétation est tout aussi abominable que ses traits gonflés de Toretto. Ce n'est pas faute de tenter la tragédie : sourire aux lèvres, les morts de sa femme (Vin ne joue pas dans des films communs, on meurt plusieurs fois dans les siens) représentent un parfait exercice de style pour cet acteur confirmé.
Toujours avec son sourire. C'est comme son meilleur ami, il ne sort jamais sans lui : Eiza Gonzalez le drague parce qu'elle est une femme et qu'il est Vin Diesel, sourire tentateur. On lui dit que sa femme est morte, sourire peiné. Sourire content quand il croit tuer les méchants qui ont tué sa femme. Sourire surpris lorsqu'il apprend le fin mot de l'histoire (dans un twist prévisible dès le premier quart-d'heure). Sourire, sourire, sourire everywhere : comme on peut le voir, Vin Diesel a étoffé son panel d'émotions touchantes.
Il se paie le luxe d'être secondé par Guy Pearce, encore plus mauvais ici que Liam Neeson dans Men in Black : International; s'ils écopent à peu près du même rôle, il ajoute à sa composition désastreuse un soupçon de Michael Keaton dans Robocop, s'alignant sur la logique d'un scénario envieux de toutes les bonnes idées déjà sorties auparavant. Les souvenirs manipulés de Total Recall, l'esthétique et la présentation du trans-humanisme du Robocop de Padilha (oui, encore), l'espace blanc modélisable de Matrix : il pille sans vergogne un tas de références du cinéma de science-fiction (d'autres films qui ne le sont pas, aussi), comme si réunir tout un tas de bonnes idées en une seule mauvaise allait la rendre plus agréable.
Parce que le principe du long-métrage, déjà qu'il ne respire pas l'originalité, est abordé n'importe comment : entre la femme de Diesel et son retour en plein film qui ne sert à rien d'autre que confirmer des hypothèses de scénario, et afficher une dernière fois le naufrage du jeu d'acteur dramatique de la vedette, le développement anarchique et sans plan des autres humains avec implants robotiques (si ce n'est pour le méchant bras droit de Pearce qui reste méchant tout le long) et la gestion terrible de ses enjeux, Bloodshot se permet l'audace d'ajouter à son écriture déjà bordélique un comic-releef proprement imbuvable campé par Lamorne Morris et son jeu stéréotypé.
Ses blagues, on les prévoit; les coups de Diesel, on s'en moque; le charme de Gonzalez ne suffit plus à se détourner de la réalité : Bloodshot est bien une débâcle cinématographique totale bourrée d'effets spéciaux cheaps et d'un humour au rabais, proche des mauvaises comédies policières de la fin des années 90-début années 2000. Sa raison d'être, profondément mercantile et malhonnête, ne trouve aucune légitimité dans ses scènes d'action (pourtant son élément moteur) peu inspirées et mal filmés, cutées à l'extrême et peu mémorable.
On retiendra un ou deux money shots placés de façon opportuniste dans une scène d'action sous terre abusant de projection de poussière rouge au ralenti (seul effet à peu près nouveau qu'il tentera d'apporter), et surement pas le plagiat de mise en scène en plan-séquence numérique des affrontements dantesques entre aliens de Man of Steel. La photographie ne leur jamais honneur, entre ses teints gris bleutés et ses couleurs chaudes artificielles en fin de film, climax d'une niaiserie sans limite.
On peut en retirer du plaisir, de le voir s'évertuer à tout plagier sans jamais réussir, et se prendre à ce point au sérieux sans s'être jamais dit qu'il ne faisait rien de bien, à condition, bien sûr, de le prendre au second degré. Bloodshot s'apprécie difficilement seul : il nécessite, à la manière de ces daubes dantesques du cinéma d'action des années 80-90, de se trouver en présence d'une bande de potes ou d'au moins quelqu'un d'autre, et de surtout bien se préparer à l'idée de voir un nanar à 45 millions de dollars de budget.
Peut-être qu'en se disant cela, la douille de voir Valiant se ramasser dès leur premier essai passera un peu mieux.