Bizarrement le thriller intimiste d'Asghar Farhadi, au lieu de me plonger dans les abymes d'une réflexion psychologisante intense, m'a plutôt porté à me questionner sur l'économie du cinéma.
Comment un tel film, jouant sur la vérité d'une relation, où chaque scène, chaque ligne de dialogue a été jugée, jaugée, calibrée pour s'ajouter telle une petite pièce d'un immense puzzle, peut pousser vers des considérations bassement financières ?
Tout simplement, parce que chaque année, au moment de Cannes, sortent des films dont le sort semble scellé au festival. Leur exposition médiatique est proportionnelle aux investissements des producteurs et seul le rouleau compresseur d'une promotion omniprésente peut leur faire espérer une certaine rentabilité quelle que soit la valeur du produit fini. "Le passé", tout assez réussi soit-il, en est le parfait prototype.
Asghar Farhadi, après l'énorme succès surprise d"Une séparation", s'est vu proposer de réaliser son nouveau long-métrage avec des moyens plus conséquents, des acteurs bankables ( en visant l'international, Bérénice Bejo ayant remplacé Marion Cotillard initialement prévue) et un temps de répétition et de tournage assez long. Tout cela à un coût et les financiers entendent bien sûr récupérer leur mise (si ce n'est déjà fait avec les ventes à l'étranger et autres préventes ).
Toutefois, je me mets à leur place quand ils ont découvert qu'il allait falloir faire venir le million de spectateurs français en salle pour encore une longue histoire flirtant avec la séparation et filmée dans une maison miteuse de banlieue. C'était pas gagné !
Une sélection officielle cannoise, une critique à genoux (sauf Libération qui fait vraiment la fine bouche) et Bérénice Bejo dans toute la presse qui compte et hop, le film est lancé, on n'a plus qu'à attendre les spectateurs et espérer un bon bouche à oreille.
Le hic, c'est qu'au mois de mai, on n'a pas vraiment envie de se cogner les affres de la vie de couple même magnifiquement filmés, éclairés et joués. Soit il fait beau et l'on préfère profiter des journées ensoleillées, soit il pleut et dans ce cas là on va au cinéma... mais pour retrouver un drame intimiste, long, très long, se déroulant dans un automne finissant, on hésite quand même.
Je ne sais pas quel sera le sort réservé à "Le passé" mais la salle était plutôt bien remplie ce matin. Surement que les pubs pleines pages des grands quotidiens nationaux, véritables cascades d'éloges y sont pour quelque chose. Personnellement, je serai un poil en dessous. Si formellement et techniquement, le film est parfait, même si l'on retrouve une histoire précise, bien fichue, sachant prendre le spectateur par la main, distillant au compte goutte les indices menant vers une possible vérité, le film n'est pas exempt de défauts. En premier lieu, c'est le scénario qui à force de vouloir aller toujours plus loin, en devient, sur la fin, un peu lourd et artificiel. Et puis, pour une histoire d'amour, même si le doute est instillé dans les personnages, on ne ressent entre eux pas la moindre attirance physique. Rien n'est charnel ici, tout est problème, prise de tête ou soigneusement camouflé dans leurs têtes. C'est sombre et finalement pas trop crédible. Si le futur ex mari iranien, en homme posé est parfaitement à sa place, on comprend nettement moins bien ce que font ensemble Bérénice Bejo et Tahar Rahim, tellement ils ont l'air éloigné l'un de l'autre.
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