Commençons par deux bémols, l'un sur le fond, l'autre sur la dynamique du film. Premier bémol, Le Passé n'a peut-être pas la richesse des précédents films de Farhadi (À propos d'Elly, Une séparation), qui intégraient des drames intimes dans une perspective sociale, brossant par le biais de quelques destinées le tableau contemporain d'un pays (l'Iran). En venant tourner en France, en langue française, le cinéaste n'a pas eu la prétention de poser un regard sociologique sur une société qu'il ne connaissait guère. C'est honnête. Mais il a perdu au passage une sorte de profondeur allégorique, se cantonnant au seul drame intime, au demeurant très fort. Second bémol, le récit est un peu lent à se mettre en place et à s'emballer.
Outre ces deux réserves, Le Passé témoigne une nouvelle fois du grand talent de Farhadi, de son intelligence, de sa précision. Continuant d'explorer ses thèmes fétiches (le couple en crise, la famille...), il brode une intrigue complexe, très bien écrite, qui dévoile peu à peu ses secrets, au gré d'une mécanique narrative aussi rigoureuse qu'efficace. Et riche en suspense. Un suspense moral. Tout, ici, est affaire de cas de conscience. Farhadi est très fort pour cerner les zones d'ombre des personnages, cerner les doutes, les culpabilités, les égoïsmes, les jalousies, les petites vengeances personnelles. Sans juger. Avec une distance qui n'a rien de glacial, au contraire, on est toujours au plus près des sentiments. Une distance qui permet de nuancer et d'enrichir les portraits. Le cinéaste joue aussi beaucoup dans son film sur la notion de vérité, dont la perception est fluctuante, oscillant selon les points de vue. Tout cela aboutit à une forme de relativisme sur les choses de la vie et à l'évocation d'une incommunicabilité indépassable. Douloureuse, cruelle, parfois tragique. Comme en témoigne la dernière scène du film.
Observateur subtil, expert en intensité dramatique, Farhadi est aussi un excellent directeur d'acteurs. Tous les interprètes du Passé, adultes et enfants, sont convaincants, Ali Mosaffa en tête, étonnant de maîtrise dans une langue qui n'est pas la sienne.