Le Passé construit autour de ses personnages un lent mais certain huis clos, à mesure que les êtres se retrouvent, que les mensonges et les non-dits se superposent, s’entassent, rendent la vie impossible à une famille meurtrie et divisée. Chacun des protagonistes apparaît coincé, pris en étau entre deux temps, entre deux vérités, pris de vertige devant une réalité multiface qui l’inclut ou l’exclut, le concerne ou lui échappe. Asghar Farhadi réussit à rendre la complexité des enjeux individuels à la fois limpides et intrigants ; son long métrage se construit comme un polar au terme duquel un secret à plusieurs niveaux sera percé, sans certitude néanmoins. « Dans ces cas-là, on ne peut jamais rien affirmer », nous dit-on. Mais le grand intérêt du film, au-delà de ses acteurs épatants, c’est d’adopter le point de vue de l’enfant, d’épouser son regard, de se mettre à son niveau sans minimiser sa compréhension des choses. Nous voyons naître les traumatismes, ces traumatismes qui reviendront un jour ou l’autre : les fugues hors du domicile conjugal, le morcellement de l’identité paternelle ou maternelle à cause des remariages et des divorces à foison. Le long métrage nous dit quelque chose de notre société contemporaine et de la mobilité mortifère des êtres qui l’habitent : voiture, station de RER pas loin de la maison, métro, hélicoptère en miniature, tout cela participe d’une même illusion de liberté, alors qu’il n’en est rien. Le passé est là, il reste présent, il s’actualise au fil des souvenirs, des rencontres, des mots prononcés. Samir demande à Marie d’oublier, d’oublier ensemble pour recommencer. Impossible. On n’oublie pas, jamais. Le Passé réussit à rendre présentes les ombres d’autrefois, fait planer sur l’ensemble une atmosphère anxiogène dont le spectateur ressort à bout de souffle. Un grand film.