Une épaisse vitre d’aéroport, en zone d’arrivée… De part et d’autre, un couple se fait signe, se retrouve ; quelques champs/contre-champs nous privent des paroles prononcées, nous faisant partager ainsi l’expérience des personnages, sauf qu’eux, malgré la vitre, semblent se comprendre parfaitement. Voilà donc des retrouvailles amoureuses entre deux êtres qui "s’entendent", pense-t-on, si on n’a lu aucune critique et si on a la chance d’ignorer totalement le scénario (concernant le premier point, ce fut mon cas et ça l’est toujours ! )… On comprendra vite qu’il n’en est rien, parce qu’en réalité, ils se retrouvent pour divorcer. Et la richesse et l’habileté du film se trouvent déjà inscrites dans cette première séquence, puisque le scénario enchaînera malentendus et surprises, tant pour les protagonistes que pour les spectateurs.
Malentendu majeur, évidemment concernant la cause du suicide de la femme de Samir, une des quêtes fondamentales du récit, dont l’élucidation constituera l’un coups de théâtre des toutes dernières séquences. Le sentiment de culpabilité qui pèse sur la conscience de certains personnages est l’un des ressorts majeurs du récit et un constituant de sa dramatisation.
Malentendu quant à la personnalité de Samir, le nouvel amant (et hypothétique nouveau mari) , qui passablement falot et agaçant de mollesse bougonne au début, se révélera beaucoup plus sensible, entreprenant et intéressant dans la seconde moitié du film. Pour moi, le tournant concernant ce personnage réside dans ce superbe et très émouvant dialogue avec son fils à propos de la mère dans le coma. La remarque vaut aussi pour ce même gamin qui, de mal embouché, devient de plus en plus attachant.
Concernant Ahmad et Marie, notre perception évolue subtilement à la faveur des révélations et des confrontations. Marie est d’abord perçue dans un environnement à l’inquiétant désordre reflétant un désordre affectif et un déséquilibre qui dégénèrent parfois en impressionnantes crises de violence ; scènes que, paradoxalement, Bérénice Béjo, excellente de bout en bout, parvient à jouer sans surjouer. Le personnage nous sera révélé dans sa complexité tout en gardant une part de mystère… Ahmad, secret et distant au début du film, mal à l’aise (comme son rival Samir, mais pour d’autres raisons), trouve dans le rôle d’arbitre qu’on lui impose, au sein de ce qui n’est plus vraiment sa famille, un statut qui l’autorise à prolonger son séjour, mais qui peut aussi perturber son "ex" en ravivant de probables sentiments refoulés . Une situation sur le fil du rasoir qui participe de la subtilité de ce film.
Ahmad et Marie sont, au début les deux personnages principaux, mais au fil du récit, ce terme devient discutable puisque, de secondaires, Samir et Lucie glissent progressivement au premier plan, et c’est d’ailleurs l’une des nombreuses qualités du scénario. Malgré sa longueur, le film capte constamment notre intérêt grâce à l’épaisseur des personnages, tous interprétés magistralement. Par Ali Mosaffa et Bérénice Bejo, bien sûr, mais tous les acteurs, sans exception, adultes et enfants, sont excellents, dirigés avec une maîtrise impressionnante….
Au début du film, en fin de générique, un essuie-glace ( raccord sur de vrais essuie-glaces, les toutes premières images) effaçait progressivement le titre. Avec la vitre évoquée au début, ces deux éléments à valeur métaphorique trouvent dans le récit bien des correspondances.. S’il ne brise pas toutes les « vitres » qui séparaient, opposaient parfois avec violence les protagonistes, le récit fait que, de bien des façons, ces êtres se sont trouvés ou retrouvés, ont fini par communiquer par cette traversée, non du miroir, mais de l’incompréhension… Les échanges douloureux entre les personnages sont autant d’ "essuie-glaces" qui tentent d’effacer les salissures du passé, des mensonges et des malentendus, tout ce qui obscurcissait une saine appréhension des actes de chacun dans ce drame. Et fort pertinemment, le scénario, après avoir effacé, évacué les plus douloureuses pesanteurs du passé, laisse néanmoins en suspens une interrogation, la raison du départ d’Ahmad quatre ans avant ; et la fin ouverte laisse libre cours à notre imagination quant au sort du trio (quatuor ?) (ex ?) amoureux…
En tous points un film admirable !