Lorsque le cinéma atteint sa plus grande pureté, son degré de force maximale, ses artifices techniques disparaissent pour laisser place à un sujet, à un discours, à un message sur les êtres et les choses. Ici, Asghar Faradi, réalisateur iranien très en vue depuis Une Séparation, réussit le tour de force de nous plonger, corps et âme, dans l'histoire tourmentée d'une famille décomposée et recomposée, tout en tissant un discours sublime sur le poids du "passé".
Ce passé, justement, c'est avant tout celui du personnage principal, Marie, mère de famille déboussolée qui demande à son ex iranien, Ahmad, de revenir quelques temps en France pour officialiser leur divorce. De fait, Marie a un autre homme dans sa vie : Salim. Seulement, à mesure que le film avance, le passé se fait plus lourd. Marie se débat vainement dans ses tentatives pour le masquer ou le faire disparaître, tandis que s'envenime un conflit larvé avec sa fille aînée, Lucie.
Le discours du cinéaste est virtuose : les murs de la maison, qui changent de couleur, les jeux de lumière, la météo elle-même sont les reflets des luttes et des déchirements internes des personnages. Tout, dans Le Passé, est une question de retours en arrière, d'hésitations, de lâchetés, de courage, aussi, bref, d'humanité.
Mais Faradi n'est pas seulement un excellent metteur en scène, c'est aussi un incroyable directeur d'acteurs. Ses comédiens, jusqu'aux plus jeunes, sont tous parfaitement justes, autour du trio de l'affiche, Tahar Rahim (Salim) Ali Mosaffa (Ahmad) et Bérénice Béjo (Marie), qui mérite amplement son prix.
Leur interprétation est à ce point juste et touchante que les sentiments n'ont jamais besoin d'être surlignés à grand renfort de musique ou d'effets de style. Le Passé est un film où tout repose sur les comédiens ; de fait, il n'y a pas ou très peu de bande son. Les bruits de la vie quotidienne, dans cette grande maison recouverte de plastique, ceux de la pluie et du train suffisent à rythmer, à donner corps et profondeur aux scènes. A tel point qu'on peut presque sentir les odeurs de chaque pièce, de chaque personnage.
Les odeurs, justement, sont au coeur de la dernière scène, sublime, remarquable. Où le thème du passé et de ses fantômes, des retours en arrière qu'ils nous imposent, est magnifiquement traité.
C'est le Passé qui est étendu sur ce lit d'hôpital sous les traits de la femme dépressive de Salim, qui a tenté de se suicider et qu'il tente de faire revivre en lui faisant sentir son parfum. Car, selon les médecins, la mémoire des odeurs est la dernière à disparaître.
Tout est là, précisément : discours sur la mémoire, message sur les Hommes, Le Passé est un bijou de cinéma intemporel, d'une modernité frappante.