Plongée dans l’intimité d’une famille déchirée, de familles déchirées par le désormais célèbre Asghar Farhadi, cinéaste iranien récompensé aux Oscars 2013 pour une séparation. Il retrouve son acteur, Ali Mosaffa, et transporte avec lui son talent de metteur en scène dramatique en terre française, entraînant dans sa course à la cruelle réalité des choses Bérénice Bejo et Tahar Rahim. En découle un film à la limpidité toute singulière, quand bien même qu’un rythme singulièrement lent et pesant donne le tempo à ce drame familial d’une justesse à l’épreuve des balles. Divorce, tension entre amant, ex-époux, entre parents et enfants, suicide et rancœur, autant le dire tout net, Le passé n’amène ni gaité ni ne réchauffe le cœur. Voilà sans doute sa force, sa logique de création faisant la part belle aux épreuves douloureuses qu’impose la vie, pour certains d’avantage que pour d’autres.
Alors que Bérénice Bejo fût récompensée à Cannes pour son interprétation sensationnelle, l’on pourrait sentir délaissés l’acteur iranien, Ali Mosaffa ou encore Tahar Rahim, tous deux excellents dans des domaines très similaires. Le passé est poignant notamment parce que ses acteurs principaux sont exceptionnellement concernés, très à même de véhiculer des émotions qu’il n’était pourtant pas aisées de vendre comme telle. La rigueur dans l’écriture, cette propension à rester les deux pieds dument sur terre tout au long du récit ne font pas du film de Farhadi un modèle de divertissement attractif, mais font de lui l’équivalent d’une douloureuse épine dans le pied. Face à des évènements aussi dramatiques mais également très anodins, le public se doit d’effacer toute ambition d’être ici divertit, replier qu’il peut l’être par ce que le film peut lui suggérer, ou encore lui rappeler.
En ce sens, que peut-on trouver d’amusant, de distrayant aux malheurs des autres, des malheurs si proches des nôtres? Rien. En soi, le cinéma d’Asghar Farhadi n’est pas de nature à divertir, à distraire, mais simplement à témoigner, à décrire aussi précisément que possible les émotions humaines pouvant ressortir d’une telle ou telle situation. Ici, la justesse du ton employé, l’exactitude dans les réactions, la limpidité des dialogues sont si probantes que le film n’est pas ennuyeux, ni même fallacieux, il est simplement douloureux, acide, témoignant d’un mal être très commun mais jamais artificiel. Difficile de ne pas applaudir des deux mains alors qu’au sortir du visionnage, il paraît toutefois évident que Le passé, nous l’avons vu, mais nous ne le reverrons jamais. Gros paradoxe tant le film est bon. Oui, un tel long métrage n’est pas anodin, n’est ni essentiel, il est simplement une épreuve de force.
Pour ce qui est de la morale, disons qu’elle nous rappelle que le passé peut paraître révolu mais qu’il nous rattrape toujours lorsque l’on tente volontairement de l’enterré. La situation des personnages est difficile mais pourtant l’humanité qui découle de leurs voix communes est pour le moins palpable. Un grand film qu’il est pourtant difficile d’adorer tant le propos est ancré dans l’air du temps, tant la façon nonchalante de raconter une histoire de la part du metteur en scène nous rapproche d’hypothétiques souvenirs douloureux. Un exercice moral que le visionnage du film, un exercice auquel peu de gens consentent à participer, préférant, souvent à juste titre, se tourner vers l’industrie hollywoodienne du divertissement, même si en cette période, celle-ci bat de l’aile aussi sûrement que la romance délicate abordée ici. 14/20