Alors que la mode du biopic sévit à Hollywood depuis de nombreuses années (en assurant, souvent, un oscar à son réalisateur et à son interprète principal…), il parait invraisemblable qu’aucun producteur n’ait encore mis en chantier un film sur Walt Disney. Dès lors, la perspective de voir, sur grand écran, un pan (même minime) de la vie du grand homme qui a tant fait rêver les enfants apparaît comme une mince consolation… mais comme une consolation quand même ! Car, on a beau avoir écrit un tas de chose sur ce brave Walt (dont il ne sort pas toujours grandi), il reste une icône synonyme de bonheur et d’insouciance qui fait un bien fou. Et quel choix surprenant de s’attaquer à un moment méconnu de la carrière de Disney, à savoir la pré-production difficile du film d’animation Mary Poppins. On découvre, ainsi, qu’avant d’être un film, Mary Poppins est un livre écrit par Pamela L. Travers, une femme d’une terrifiante froideur qui a refusé pendant des années de céder les droits de son œuvre à Disney, qu’elle considérait comme un pitre qui dénaturerait des personnages. Les scènes d’affrontements verbaux entre Travers et Disney font partie des scènes les plus amusantes du film, tout comme le dégoût de l’auteure pour l’univers de Mickey et ses amis (voir la réplique visant Winnie l’Ourson). Les adorateurs de Mary Poppins (dont je ne fais pas vraiment partie) seront, en outre, ravis des nombreuses références faites au film, que ce soit l’évolution du scénario au gré des exigences de Travers, les discussions houleuses autour des images d’animation ou la composition de la musique par les frères Sherman. Mais, plus que la genèse de Mary Poppins, c’est surtout la tragique histoire familiale de la rigide Pamela L. Travers qui est au centre du film. Il faut dire qu’elle a vu, très jeune, des choses qu’un enfant ne devrait jamais voir
(la déchéance de son père alcoolique puis sa mort à petit feu, la tentative de suicide de sa mère…)
et s’est visiblement inspiré de bon nombre de ses souvenirs
(et de l’arrivée providentielle d’une tante aux allures de Mary Poppins)
pour écrire ses livres. On comprend, ainsi, que "Mary Poppins" n’est pas tant un film sur une nounou anglaise qui vient aider des enfants qu’une
déchirante déclaration d’amour d’une fille à son père qu’elle idolâtre et qu’elle a vu sombrer.
Certaines scènes ne manqueront, d’ailleurs, pas de secouer
les pères de petites filles
… même si, malheureusement, le film rate un peu le coche de l’œuvre bouleversante qu’il aurait pu (aurait dû !) être avec une telle histoire. La faute en incombe essentiellement au réalisateur Jonh Lee Hancock, qui se contente d’une mise en scène très académique… alors que l’intrigue est une succession d’aller-retour temporel entre la jeunesse de l’auteure et les négociations avec Disney, procédé propice à l'imagination mais qu’il peine visiblement à maîtriser. Le film souffre, en outre, d’un rythme bien peu efficace et d’une durée déraisonnable (plus de 2 heures !) accentuée par une fin qui parait rajoutée à la dernière minute. On peut, également, reprocher au scénario de se montrer un peu trop léger sur les changements d’avis de Pamela L. Travers qui, bien qu’elle soit partie pour tout refuser (y compris le principe même d’une adaptation par Disney), finit par accepter des trucs pourtant inenvisageables pour elle (à commencer par les chansons !). Ces défauts viennent considérablement entamer le plaisir et, surtout, le potentiel formidable du pitch. Heureusement, il reste les acteurs principaux (les seconds rôles, comme Paul Giamatti, Bradley Whitford ou Jason Schwartzman, ne déméritant pas mais n’ayant pas grand-chose à se mettre sous la dent) avec une Emma Thompson, impeccable de sévérité, un Colin Farrell inattendu en père aimant mais alcoolique, Ruth Wilson très bien en mère au bout du rouleau et, bien évidemment, le formidable Tom Hanks qui apporte toute son humanité au personnage de Walt Disney. A ce titre, bien que l’icône soit, dans l’ensemble préservé (l’adaptation de "Mary Poppins" est une promesse faite à ses filles, le côté self-made man parti de rien est mis en avant, il est présenté comme un patron parfait…), Walt Disney est, également présenté sous un jour moins reluisant (menteur, manipulateur, lâche…) même si ses défauts sont limités à l’extrême et toujours justifiés par un motif plus ou moins valable. Il reste, ainsi, le personnage sympathique du film face à la revêche Pamela L. Travers (dont le comportement est justifié par son passé). Bref, "Dans l’ombre de Mary" avait tout pour être un excellent film… s’il avait été confié aux soins d’un réalisateur un peu plus ambitieux ou, tout simplement, un peu plus adroit. Dommage…