Un panneau de signalisation, sa tête de mort, son inscription – « Prohibited Area ». Panneau que dépasse à toute allure Max au volant de son bolide. Territoire interdit, frontière avec la folie que franchit le policier jusqu’alors soucieux de son intégrité et conscient de la facilité avec laquelle l’homme de loi peut se changer en homme poursuivi par la loi. Car du flic au voyou il n’y a qu’un pas, sinon qu’une insigne sur un blouson de cuir noir qui confère aux hommes des allures de surhommes alors que leur vulnérabilité demeure là, sous la seconde peau, prête à être exhibée, déchirée. Si Mad Max se montre aussi fasciné par la route, ses lignes continues ou discontinues, les parcours sinueux qu’elle dessine sur le paysage australien, c’est en raison de ce que représente la route sur un plan esthétique et symbolique : la marque d’une trajectoire dont on ne peut s’écarter, comme expression du destin qui conduit l’individu à renier son appartenance à la société, qui pousse l’homme à renier son appartenance à l’humanité pour devenir vengeur et sauvage. Le long métrage de George Miller est une conversion progressive à la sauvagerie, les « aigles de la route » n’ayant de cesse de voir leur bestialité déclinée : d’abord les bruits qu’ils font – chat, cochon –, puis les attaques furtives dans la forêt, telle une meute de loups affamés, enfin la rapidité avec laquelle les cadavres sont déchiquetés par les vautours et autres charognards heureux de trouver là une nourriture à leur goût. Le jeune Max assiste ainsi, impuissant, à la disparition de ses différents cercles d’appartenance : ses coéquipiers finissent en morceaux, sa famille gît au milieu de la route. Une même scène est répétée en dépit de la distance physique du personnage : Max est assis à l’extérieur, face à la mer. Il dit d’abord s’efforcer de mettre de l’ordre dans sa tête, de chercher le sens du chaos sans y parvenir ; il ne dit ensuite plus rien, il se tait, dégage la malle et sort costume de flic et armes de flic. C’est le début de la fin. Là commence une course-poursuite d’anthologie dont le mouvement même entrecroise la rugosité du désespoir et la jouissance de la vitesse pure, toutes deux au service de la destruction de l’autre. À partir du moment où Max renonce à considérer les motards comme ses semblables, à partir du moment où il se couvre de noir, s’enferme dans son bolide noir, il se convertit à la folie et fait malgré lui le deuil de la communauté. Miller offre à l’Australie une terrifiante parabole : les espaces désertiques s’enchaînent, se suivent et se ressemblent sans rédemption aucune, offrant une galerie de freaks comme autant de facettes d’un vaste kaléidoscope national. Le cinéaste dissèque la violence d’une terre, revient aux fondements de la vengeance dans une œuvre coup-de-poing qui, plus de quarante ans après sa sortie, reste toujours aussi brûlante.