C'est austère, long, tendu et assez terrible au final. C'est aussi intelligemment écrit, mis en scène avec un réalisme froid très maîtrisé, et interprété avec force et conviction. Pas plaisant, donc, mais d'une qualité indéniable. Tout aussi exigeant que 4 mois, 3 semaines, 2 jours, du même Mungiu, Au-delà des collines est cependant un peu moins complaisant dans le glauque et peut-être un peu moins éprouvant. Quoique... Après avoir sondé le tréfonds sordide d'une histoire urbaine d'avortement clandestin, le cinéaste plonge dans une autre réalité, plus rurale, où il est question de foi et de superstition, d'un obscurantisme que l'on croyait d'un autre âge. Mais pas seulement. Au détour de quelques scènes dans un hôpital, un poste de police ou une famille d'accueil, le film évoque une forme de déshumanisation et d'insensibilité à l'oeuvre dans toute la société. Il dit également le conflit entre un désir de liberté et un besoin rassurant de se soumettre à une autorité. Mungiu est ainsi moins dans un trip de transcendance à la Bernanos ou à la Dreyer que dans une analyse sociologique (avec un certain regard sur son pays) et philosophique. Les deux héroïnes sont deux jeunes femmes perdues, livrées à elle-même, qui cherchent un sens à leur vie, l'une dans la foi, l'autre dans l'amour, deux voies qui s'unissent ici dans la tragédie (inspirée d'un fait divers). Le tableau religieux est peint avec nuance, évitant toute condamnation péremptoire, à la faveur d'un exposé factuel. La communauté, bien qu'engoncée dans ses principes, se préoccupe du sort d'Alina (davantage que l'hôpital ou la famille d'accueil). C'est par amour et dans une démarche autodestructrice que la jeune femme se jette volontairement, sans en mesurer les conséquences, dans la "gueule du loup". Le loup, c'est le dogme, une croyance bornée, un pouvoir arrogé au nom d'une conviction profonde de faire le bien, une inconscience monstrueuse. La violence incompréhensible est là, dans ces traditions séculaires. Elle est aussi dans la modernité, avec cette évocation d'un fils qui a tué sa mère avant de diffuser les photos du meurtre sur Internet... Bref, la barbarie est partout, intégrée au quotidien. On en parle entre une chose et l'autre, à la manière de ce médecin qui interrompt son compte-rendu dramatique par un coup de fil personnel. Elle jaillit comme cette éclaboussure de saletés sur le pare-brise de la voiture des policiers, à la fin du film, plus ou moins nettement balayée par l'essuie-glace, d'un mouvement indifférent.