Quentin Dupieux continue de jouer dans son bac à sable. Son cinéma est devenu identifiable dès le premier plan, par le soin qu’il apporte au cadre, à la lumière. Film après film, un univers s’impose. Même si cela reste un univers un peu étroit, même si on en perçoit les limites un peu trop vite, sa singularité est une qualité très appréciable, qui tourne le dos à l'hégémonie épuisante du naturalisme rance et éreinté d’une bonne partie de la production indépendante hexagonale (cf le récent "Vincent n’a pas d’écailles"). Effronté, provocateur, Dupieux inscrit clairement "Réalité" dans la lignée de David Lynch, sans avoir l’étoffe, la puissance de suggestion, ni l’ampleur de la tessiture du maître américain. Là où Lynch peut mêler tous les registres, de l’horreur au burlesque, du film expérimental au mélo traditionnel, Dupieux reste un petit artisan appliqué et pas toujours inspiré, cantonné dans un comique tordu et désinvolte. Mais au moins, il essaye. Porté par le jeu impeccable d’Alain Chabat, parfait d’un bout à l’autre, "Réalité" recèle quelques moments de pure comédie hautement jubilatoires
(la remise de l’oscar, le producteur sniper qui dégomme les surfeurs, l’émission culinaire présentée par un type dans un costume de rat, frappé d’un eczéma imaginaire)
, comme ses prédécesseurs "Wrong" et "Wrong Cops", sans égaler la folie inaugurale de "Steak", mais qui méritent quand même d’aller payer sa place. Dommage que la belle mécanique de scénario en couches successives d’abimes se grippe dans le dernier tiers à force d'user la même recette. Paresse ? On sent que Dupieux aime aller vite, ne veut pas se prendre la tête trop longtemps sur l’écriture quitte à bâcler un peu, à laisser passer des scènes répétitives et des dialogues un peu poussifs, voire à foirer le casting d'un personnage important (le producteur, pâle clone du déjà pâle Karl Zéro). Où qu’il fait de son mieux et que c’est ce mieux qui est là, devant nous, courageusement exposé et conscient de ses limites.