Dans cette figure de jeune prof de philo incapable d'imaginer la vie hors Paris, Vilain a du projeter beaucoup de lui même. Vilain, grand amoureux -et lâcheur- de femmes, souvent un peu âgées et souvent très connues, depuis Annie Ernaux ce qui est de notoriété publique puisqu'elle l'a elle même écrit, jusqu'à..... mais chut!
J'aime énormément ce que fait Lucas Belvaux, réalisateur belge (même si on voudrait bien qu'il soit français.... hélas non, nos français se cantonnent sagement aux comédies bien grasses); j'ai été passionnée par Rapt, 38 témoins, et surtout cette épatante trilogie grenobloise qui l'avait fait connaitre en 2001, où les mêmes évènements, les mêmes gens étaient utilisés dans trois films, avec des traitements totalement différents: une comédie, un thriller, un mélo. Un des actes cinématographiques les plus intelligents, les plus créatifs et les plus réfléchis qui ait jamais été entrepris.
Eh bien, même si ce scénario est un peu simpliste pour Belvaux, plus à l'aise dans du plus large, même s'il conviendrait de couper un bon quart d'heure, le cinéaste a réussi à donner bien plus de vie, de profondeur et d'intérêt à cette romance entre Clément, professeur de philosophie muté à Arras -l'horreur absolue!! et Jennifer, coiffeuse arrageoise et heureuse de l'être que l'on en trouve dans le livre.
Ces intellos parisiens sont décrits par toutes petites touches toutes en finesse, mais si juste! le père du héros (Didier Sandre) qui grogne parce qu'on l'emmène à l'Opéra voir un Dusapin alors qu'il n'aime que Debussy et Messiaen.... si c'est pas du vécu! Ca caractérise une classe sociale mieux qu'un long discours.... leur coquetterie, Arras, mais quel désert, comment peut on vivre à Arras, leur prétention... Loïc Corbery est vraiment très bien.
Mais celle qui porte le film, c'est la merveilleuse Emilie Dequenne. Son visage bien carré de chat n'a pas perdu toutes les rondeurs de Rosetta; elle est ravissante. Elle court tout le temps, elle chante tout le temps, elle rit tout le temps, en s'occupant de son petit garçon qu'elle élève seule, en prenant le bus, en faisant le métier de coiffeuse qu'elle adore -et surtout, le samedi soir au karaoké où, avec ses deux copines du salon, elle chante du disco. Elle aime sa vie, elle aime sa ville, elle est solaire. Il lui fait la lecture, elle l'emmène au cinéma -c'est impossible qu'il ne connaisse pas Jennifer Anniston! elle l'emmène au karaoké. Il est amoureux d'elle aussi -c'est évident. Mais à condition qu'elle reste la femme d'à côté. Celle qu'on n'emmène pas à Paris, celle qu'on ne présente pas aux collègues.
Mademoiselle Dequenne ne veut pas qu'on la dénude. Il est donc prouvé qu'un réalisateur respectueux peut faire un film qui se passe en grande partie dans une chambre et même dans un lit, sans qu'il y ait une débauche de poils pubiens; elles devraient en prendre de la graine, toutes ces jeunes actrices qui acceptent de se faire viandiser en racontant que c'est pour l'art, alors que c'est juste pour que le cinéaste fasse des entrées en plus en attirant des messieurs à l'œil salace, n'est ce pas mesdemoiselles Seydoux et Exarchopoulos.....
Lucas Belvaux n'est il pas en train de prendre la succession de Tavernier, en assumant un cinéma de facture très classique tout en étant capable d'aborder tous les genres? Là, la subtilité avec laquelle il décrit l'incommunicabilité des classes sociales (quoiqu'en dise une certaine bienpensance...) est tout à fait admirable.