Pas son genre Lucas Belvaux Mai 2014
Clément, philosophe germanopratin et parisienissime, cœur récemment à prendre, doit rejoindre, contraint et chagrin, un poste d’enseignant dans un lycée d’Arras. Jennifer, coiffeuse arrageoise et fière d’être les deux, mère courageusement célibataire, rêve du grand amour et du prince charmant en s’exerçant joliment au karaoké. « Pas son genre » est l’histoire de leur relation amoureuse.
Quel canevas pour se casser la gueule en beauté !
Et au début on a peur : générique sur une scène de rupture pas trop travaillée puis les clichés sur le héros, habitué des Deux Magots qui entonne son couplet d’exilé de l’Educ., la première nuit d’hôtel arrageoise troublée par un « Petit Quinquin » aviné, la collègue émoustillée par l’arrivée du parisien. Au secours, c’est Raphaël Enthoven chez les ch’tis !
Et puis non, Lucas Belvaux nous présente avec tendresse la petite coiffeuse et nous fait un numéro d’équilibriste pour raconter cette histoire de prince et de bergère sans la caricaturer. Improbable mais possible, leur relation est autant nourrie de curiosité que de désir. Improbable mais possible, leur relation est une réponse pied de nez à la mélancolie du quotidien. Improbable mais possible, leur relation est surtout un face à face de mots ceux des protagonistes mais aussi ceux qu’ils citent en les lisant ou en les chantant à l’autre, une sorte de « battle » amoureuse en noir et blanc et en couleurs, ou plutôt un jeu du qui perd gagne en terrains « neutres » pour lui, attendri par la générosité amoureuse de sa partenaire mais…cartes sur table pour elle qui prend tous les risques avec une fraicheur franche et sexy irrésistible mais…
Jennifer va dans une librairie, prend deux livres que la libraire commente ainsi : ah, ce n’est pas le même genre ! Et nous y voici pas le même genre, pas son genre, bien au delà de certains débats à la mode, le cinéaste nous rappelle avec finesse, l’existence d’ostracismes culturels, sociaux qui renvoient qu’on le veuille ou non à une société où les barrières de classe et de milieu restent bien plantées dans la tête de ceux-là mêmes qui devraient être les premiers à les mépriser.
L’écriture est juste, raccord, avec les âmes et leurs états, elle prend le plan/temps de dire les choses en direct ou en off, les chansons populaires autant que les citations littéraires nous parlent de ces cultures qui sont les nôtres en trop fréquentes parallèles qui s’ignorent et qui, par la grâce d’Eros vont se mettre à jouer ensemble.
On oubliera le ixième ratage des scènes de cours (les cinéastes cultivent, en ce domaine, l’art des représentations convenues du métier d’enseignant avec un acharnement qui me laisse pantoise !), on oubliera la Grand Place d’Arras prise du vertige du héros et on gardera la belle performance d’actrice (et de chanteuse) d’Emilie Dequenne : oui, nous l’avons notre Cate Blanchett, jolie comme un cœur et qui n’a rien à envier à Jennifer Aniston !