Il y a des films qui laissent un gout d'exception et "Les hommes à lunettes" en fait partie. D'abord par sa distribution: une seule salle, L'Entrepot dans le 14ème à Paris, un seul horaire, à 20h, et cela depuis déjà plus de deux mois. Les comédiens sont encore présents, avant et après la séance, fidèles à la désopilante bande annonce où l'on voit tous les hommes du film décliner comment voir le film sans qu'on sache à aucun moment de quoi cela parle!
Il se dégage une proximité, une présence, un esprit de rencontre qui rappellent pourquoi on va au cinéma.
Quant au film lui-meme, il est puissamment interprété, d'excellents dialogues et une mise en scène au cordeau pour que l'on ne soit pas prisonnier du huis clos apparent. Des hommes se retrouvent pour jouer au poker et ils parlent librement sans que l'on n'ait le sentiment que le réalisateur, Eric Le Roch, privilégie ou non l'esprit de libertinage avancé par certains des joueurs. On assiste à une parole très libre qui se retrouve encadrée par les conséquences imprévues qu'elle provoque. C'est limpide, grace à une excellente direction d'acteurs et un sens du comique de situation, des enchainements vifs de pensée menant à des vérités difficiles à entendre.
Le film est à la fois gai et mélancolique, tout en contrepoint.
C'est troublant de se dire qu'un film aussi juste, humain, dégageant une grande confiance en l'autre (les personnages sont de milieux différents et se parlent malgré de très grandes divergences de vues), exige aussi un spectateur qui puisse sortir des sentiers battus.
Pour le voir, c'est soit le hasard (vous passez près de la salle au bon moment...), soit un ami qui l'a vu et a insisté pour votre venue (en général on a besoin qu'on nous parle plusieurs fois du film pour s'en souvenir)! Personnellement, j'ai eu connaissance du film en plein festival de Cannes, en scrutant l'activité d'un distributeur qui me paraissait atypique, Rendez Vous Pictures, puis l'affiche sur son site m'a troublé, et la présence de Serge Hazanavicius dont je me souvenais de la prestation très drole en agent du Mossad dans OSS 117: Rio ne répond plus, cela m'a intrigué, et enfin, la bande annonce et l'originalité du projet, montrer un film une séance par semaine sur le long terme, ont fini de me convaincre.
En faveur du film, il y a, en plus de sa qualité intrinsèque, l'espoir de maintenir en vie, un certain cinéma qui ne peut bénéficier par l'indépendance de son projet, de financements de promotion et qui peut s'épanouir dans une programmation étendue dans le temps, grace aux acteurs qui reviennent tous les lundis soir, grace à l'Entrepot qui soutient l'aventure et soutiendra peut etre ainsi d'autres films ensuite et grace aux spectateurs qui vont voir là où l'on ne leur a pas dit "en masse" d'aller...