A peine née, "South Park", la série télévisée d'animation, était déjà culte, au point de scotcher à heure fixe les ados mangeurs de chips. Nouvel enjeu : drainer les mêmes et quelques autres vers les bacs à pop-corn des multiplexes. D'autres s'y sont cassé les dents. Derniers en date, les délicieusement affreux "Beavis and Butthead", dont le périple américain sur grand écran s'est pris un bide (mérité). Trey Parker, que le long-métrage démangeait méchamment, et son alter ego Matt Stone ont mieux préparé leur coup. Leur malice éclate dès le prologue. En quelques minutes et une chanson, tout est en place : South Park, bled enneigé du Colorado, ses indécrottables péquenots, et nos héros, balles de ping-pong humaines, nasillardes et malpolies, rejetons dégénérés des Peanuts du révérend Schulz. Voici tour à tour Stan, bonnet à pompon; Kyle, bonnet à pattes; Cartman, le gros dur; Kenny, l'enfant-capuche dont on ne voit que les yeux. Ici, dans ce long-métrage d'animation adapté de la série télévisée d'animation américaine, Stan, Kyle, Kenny et Cartman viennent de réaliser le rêve de millions d'enfants : visionner un film canadien de Terrence et Philip, interdit aux mineurs en raison de ses scènes vulgaires et de ses dialogues orduriers. Enthousiasmés par cette expérience, les quatre garnements n'ont plus qu'une idée, transmettre leur savoir nouvellement acquis à leurs petits camarades verts de jalousie. Le vocabulaire fleuri de la paire canadienne a tôt fait de contaminer le langage des enfants de South Park. Scandalisés, les parents organisent des meetings et font arrêter Terrence et Philip. Quand le gouvernement canadien proteste, la Maison Blanche surenchérit. C'est la guerre... Il reste aux néophytes à découvrir Terrence et Philip. Dans la série, ces deux comiques télé imaginaires font la joie des enfants en incarnant l'humour "canadien", "prout-prout" et "nique ton oncle". On a compris que le Canadien est à South Park ce que le Belge est à Villeneuve d'Ascq. En pire. Terrence et Philip font la joie des gamins de South Park et la consternation de leurs parents. Gros clin d’œil et mise en abyme, s'il vous plaît : le duo pétomane reflète au carré le mauvais esprit pipi-caca-vomi de la série. Dans "South Park : le film", on découvre aussi le premier long-métrage de Terrence et Philip. Naturellement, Stan et ses potes s'y ruent, avides d'enrichir leur vocabulaire et bravant les interdits. Les voilà qui sortent du ciné en braillant "Shut your fuckin' face, uncle fucker" et autres jolies comptines (je recommanderai chaudement la VO). Revoir la version cinéma de la fameuse série en plein conflit américano-irakien peut s'avérer salutaire tant toutes les dérives du moment sont ici satiriquement évoquées. Ici, Saddam Hussein couche avec Satan. Faut-il y voir un tract pro-Bush pour la guerre en Irak ? Pas sûr... Certes, la version cinéma du célèbre dessin animé débouche sur un conflit armé, mais avec... Le Canada ! Et pour d'autres motifs que le pétrole : parce que les gamins répètent les gros mots entendus dans un film canadien ! Manière détournée d'évoquer la question de la liberté d'expression dans un contexte (Hollywood) où elle se pose de manière beaucoup plus aiguë qu'on le croit. En même temps, la liberté d'expression est ici entendue dans son sens littéral : la liberté de hurler "Le poirier japonais, c'est quand on met ses jambes derrière la tête pour se faire lécher le cul" ou autres saillies moins littéraires. Alors, "South Park : le film (plus long, plus grand et pas coupé)" a-t-il des effets cathartiques ou mimétiques sur vos mômes lorsqu'ils regardent le film ? Oui et non, répond le film de normande façon. Mais il dit aussi que ce n'est pas en faisant la guerre aux gros mots que les gros mots ne seront pas prononcés. Matt Stone et Trey Parker sont deux enfants de la classe moyenne américaine qui ont été élevés dans une société démocratique et répressive à la fois. Et d'autant plus répressive qu'elle se drape dans sa robe démocrate. Tout comme elle justifie ses "opérations de maintien de l'ordre en Irak" par l'impératif démocratique en omettant de mentionner ses intérêts pétroliers. Branle-bas à l'école, mobilisation des parents viscéralement réacs et casus belli. Après les pets, la guerre. Avec le Canada ! Astuce des créateurs de la série et du film : les bambins, autoproclamés "résistants", ne quittent pas (ou si peu) South Park, c'est le monde qui vient à eux, avec bagages et surtout armes. Même le Ciel et l'Enfer sont de la partie. Dans l'Enfer, flottant parmi de curieuses images de synthèse qui tranchent avec le trait net, enfantin de la série, le diable en personne est sodomisé avec assiduité par un Saddam Hussein déchaîné. Ces zozos ne reculent décidément devant rien. Se fichent de tout avec un entrain communicatif. Leur insolence punk zappe dans tous les coins de l'inconscient collectif américain, et fait mouche. Dans ce bal des pantins, on n'est pas surpris de croiser un Bill Clinton mollasse et une Winona Ryder musclée, ou de voir l'exécution de Terrence et Philip organisée comme un méga-show en direct live. Le film carbure à la dynamite verbale et aux idées potaches, quasiment sans temps mort. Mais s'il tient la forme jusqu'au bout des quatre-vingts minutes, c'est aussi que la musique, omniprésente, le tire sans relâche vers l'avant. Là où le cartoon pour enfants s'englue habituellement dans la mélasse, "South Park : le film" s'inspire des vieilles comédies musicales importées de Broadway à Hollywood, tout cela assaisonné de voix niaises, de canards et de klaxons à la Spike Jones, et le tour est joué. A la provocation mitraillette des gros mots, aux jolis aplats du dessin, aux loopings d'un scénario plus maîtrisé qu'il y paraît, cette bande sonore pétaradante apporte une touche de folie essentielle. Bref, "South Park : le film" est de nouveau un coup de génie des créateurs Matt Stone et Trey Parker. Non seulement l'humour noir et cynique typique de la série est encore et toujours plus présent (pour le plus grand bonheur des fans), mais le scénario du film est d'une intelligence des plus surprenantes. En plus de parodier le style Disney avec un cynisme délicieusement piquant, "South Park : le film" est une réponse à tous les détracteurs de la série. A toutes les associations, qui, la prenant au premier degré, ne voient alors que des blagues vulgaires et un humour tellement noir et trash qu'il devrait être interdit à tout public. A tous ceux qui pensent que la série devrait être censurée, visionnez ce message des créateurs. Cette dénonciation hilarante de la stupidité de ceux qui veulent faire interdire ce qu'ils n'aiment pas, ou qui n'est pas conforme à leurs valeurs. En plus d'être un des films les plus drôles qu'il m'ait été donné de voir (l'humour noir de la série que nous adorons tant est bien entendu au centre des dialogues), "South Park : le film" est sans aucun doute la meilleure comédie musicale que j'ai jamais vu. Pour parler des chansons, je les adore. En effet ces chansons sont extrêmement rythmées, exagérément vulgaires pour parodier (encore une fois) le style Disney, et surtout, particulièrement entraînantes ! Tant d'intelligence en terme d'écriture alliée à une si bonne inspiration musicale relève du génie. Histoire de conclure, "South Park : le film" est une grande comédie musicale, un film à l'humour ravageur, d'un cynisme particulièrement piquant et intelligent, mais surtout une œuvre totalement délirante, à l'image de la série ! Ne vous arrêtez pas aux quelques insultes, ou blagues un peu trash ! Regardez de plus près, et rendez-vous compte que ce film d'animation est, tout comme la série, un chef d'œuvre !