Le film de Jorge Gutierrez rend ainsi hommage au Mexique et à ses coutumes festives. L’une d’elle se déroule lors de la Toussaint, la fête des Morts, et voit chaque famille se précipiter joyeusement dans les cimetières pour communier avec les âmes et le souvenir des défunts. En s’adressant aux spectateurs du monde entier, il a souhaité offrir une image originale de son pays natal, de ses habitants et de ses traditions telles les calaveras, ces têtes de morts décorées de fleurs et très colorées.
Basant tout son graphisme sur l’art mexicain, très chaleureux et chamarré, il nous offre une surenchère de décors sophistiqués et exubérants utilisant les codes des arts précolombiens, aztèques et mayas. En y ajoutant la 3D, il produit un monde visuellement bluffant. Renouant avec l’art local, il nous concocte des personnages tous représentés différemment, avec beaucoup d'invention, d'ornements et d'accessoires, créant ainsi un monde hybride et délirant. Si la plupart ont conservé la texture des poupées locales, majoritairement en bois, d’autres acquièrent celle de la pierre, aussi dure que leur cœur, de la gélatine qui fuit tout autant que leur honnêteté ou de la mousse comme ce bon vivant de Chandeleur, celui qui tient le compte des flammes d’existence, les chandelles allumées ou éteintes. La musique de Gustavo Santaolalla, s’ancrant dans le folklore des mariachis et foisonnant de modernisme, mérite aussi une écoute attentive. De plus, les acteurs prêtant leur voix aux irrésistibles chansons d'amour sont très bons.
La construction de ce film nous narre, un peu à la façon des "Tableaux" de Moussorgski, avec un préambule suivi de différents chapitres ponctués de retour de retour au musée, une légende dans l’histoire. Quoique ? A-t-on véritablement quitté la légende ? En est-ce une ? Comme toutes les légendes, ce récit balaie toutes les attitudes humaines dans un but didactique. Le Bien doit triompher, la fin doit être apaisée. Mais que de détails à examiner. Qu’en est-il de l’amitié quand la jalousie vient écorner l’amour ?, quand le devoir, la raison ou l’obéissance aux prétentions familiales viennent dire leur mot ? Manolo, tiraillé entre les espoirs de sa famille et les élans de son cœur, mis au défi par les dieux, devra partir au-delà des mondes et affronter ses plus grandes peurs afin de conquérir le cœur de sa bien-aimée. Il devra vaincre le machisme si répandu, la sournoiserie d’un dieu malveillant… Au cours de sa terrible odyssée, il côtoiera la forfanterie de ceux qui ont du courage en ne prenant pas de risques, la muflerie de ceux qui considèrent que la galanterie se résume à un sifflet admiratif. Il y trouvera le réconfort du respect des anciens, la difficulté de vouloir être libre dans ses choix de vie. Que de belles leçons si bien décrites. Un peu comme Orphée, Manolo va user de son astuce, de son courage et de son chant pour apaiser les enfers et vaincre les obstacles qui se dressent devant lui.
Dans cet univers riche et créatif, cette histoire, ironique parfois, malicieuse souvent, pleine de finesse, nous emmène de l’autre côté de notre miroir, pour y scruter d’intéressantes figures humaines, caricatures truculentes mais combien réelles.