Lorsque l’on envisage les milles méthodes et possibilités pour un esprit, aussi démoniaque soit-il, de communiquer avec le monde visible, l’imagination fait souvent partie des oubliées. Monde visible ? Nous n’avons pas dit réel. Et pourtant le principe imaginatif du spectateur, qui n’est surtout pas à interpréter comme une hallucination hystérique, un délire déséquilibré, est dans cette nouvelle œuvre de James Wan, LE grand moyen de cette interaction psychologique entre le visible et le dissimulé. Réalisateur du phénomène Saw (2004), le jeune cinéaste malaisien déploie dans ce Conjuring, une stupéfiante maniabilité esthétique du vertige. Synthétisant Kubrick et Hitchcock, l’image est dotée d’une épouvante vertigineuse, tournée face à un vide spatialement insaisissable, mais qui pourtant, se voit toujours doté d’un fond. Et c’est ce fond, toujours atteint, qui provoque l’effroi de notre imagination. Cette dernière peut se satisfaire d’une grande liberté : nous nous surprenons à la voir créer avec assurance, une angoisse psychique parfois insoutenable. Cette faculté cependant, n’est pas seulement due à ce classicisme attentif aux moindres signes, à chaque claquements ou grincements de porte, d’écho dans les tuyauteries, de miroirs éphémères, et de stylisation oppressante du mobilier. Conjuring peint les peurs de l’enfance comme dans un atelier cubiste. Jouant avec une plastique du faux puzzle, de visage de poupées et de jouets pétrifiés, la maison recélant les milles secret d’une fantastique sorcellerie, et bien sur les parties magiques de cache-cache, qui ont bercés les après-midi sans école.
Le film de James Wan est un immense jeu de dissimulation. Nous nous en rendons compte par la force métaphorique et méta filmique du traitement de la peur. Cette dernière reste celle de l’enfance. Mais contre toute attente, elle vient à nous rappeler ce qu’est la tragédie de cet âge : c’est dans nos peurs que se dessinent les malfaisances et la perversité de nos hystéries. Les enfants de la famille Perron sont nos interprètes dans cette partie de cache-cache angoissante. Le film est en ce point généreux, puisqu’il produit deux mouvements psychologiques de taille vers son spectateur. Si le premier était ce rappel implacable de nos peurs infantiles, conservées comme des serpents dans l’alcool, avec l’odeur putride de la peur maladive à l’âge juvénile, le second mouvement est la transformation de la peur en angoisse.
Conceptuellement distinct, le film les rapproche pourtant avec une remarquable intensité. La dissimulation progressive des enfants dans la peur, ici matérialisée par la maison de poupée possédée, transfert la notion psychologique de réalité du monde visible, au monde dissimulé ; justement celui auquel notre imagination infantile, nous poussaient à aspirer (dans le jeu notamment). La fresque familiale en est rendue très émouvante. La cohérence affective des 5 filles des parents Perron, renforce cette membrane psychologique reliant le spectateur à l’enfance. Le moteur esthétique du vertige, marqué par de virtuoses mouvements de caméra, revient à la charge comme un voyage de la conscience. Vertige et dissimulation ne font qu’un. La lumière est soit écrasante, lors de plan sublime où elle vient mettre les personnages dans leurs plus profondes contradictions, soit inexistante, lorsqu’elle s’éteint, ou se terre de manière brusque (une ampoule brisée, un ciel s’ombrageant de manière soudaine), et que la peur, se métamorphose en angoisse ; lorsque le fond de l’abîme sans fin, apparait sous la sensation de nos pieds. Kierkegaard écrivait dans Le Concept de l’angoisse : « L'angoisse exprime au niveau de la conscience de soi le vertige de l'individu auquel s'offre une pluralité de possibilités contradictoires…». Le film de James Wan confronte ainsi, dans maniabilité aride la caméra, « le vertige des possibles » de l’angoisse visuel, lorsque la maison, une chambre ou un couloir s’éloigne toujours plus loin de la peur qui interroge, pour hanter l’angoisse qui anticipe en se dissimulant du visible, à une photographie du désespoir : là où lumière confirme comme par avance, le choix terrible de s’être dissimulé.
De Beksinski (peintre surréaliste polonais) à Stuart Rosenberg, comme d’Hitchcock à Kubrick, le cinéaste synthétise et provoque. La lumière y est plus écrasante que dans Amityville – la maison du mal (1979), plus éblouissante. Le final décevant n’est ni à la hauteur ni raté. Mais il s’extirpe tout simplement trop vite de cette dissimulation. « Montre ton vrai visage », est une réplique se dévoilant comme fataliste ; la faiblesse formelle gagne la conclusion du récit.
Mais d’une œuvre en partie inégale, ces deux moments de métamorphoses, si rarement observés avec une telle maîtrise, font de ce Conjuring : les dossiers Warren, une solide expérience de l’épouvante visuelle.
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