Jeune prodige du début des années 2000, James Wan sera devenu producteur par le biais de la première saga qu'il avait lancée : Saw. Auréolé du succès du premier film de la franchise (également premier long-métrage qu'il réalisa), les années passèrent sans qu'il ne déceva les producteurs, enchaînant les succès de tous genres, des Insidious au bordélique Fast & Furious 7, en passant par le tout récent Aquaman (plus succès DC Comics au cinéma) et l'univers cinématographique Conjuring porté par les films moteurs (et éponymes) rélisés par James Wan, complété par les spin-offs de ses poulains plus ou moins qualitatifs.
Film culte des films d'épouvante récents, Conjuring : Les Dossiers Warren se présentait comme un tour de manège des émotions horrifiques, une sorte de Space Moutain de la maison hantée/possession. Basé sur la mise en scène sans faille de son réalisateur des plus talentueux, ce premier volet de la désormais célèbre saga pose les bases de ce qui codifiera la majeure partie de l'esthétique des films d'horreur post 2010.
Posé, joliment enrobé, il gère aussi bien son atmosphère oppressante que le placement de ses screamers; s'ils font partie des plus efficaces et réussis que vous pourrez actuellement rencontrer dans le genre, ils n'en gâchent pas moins le travail esthétique de Wan, trop soigné pour s'embourber dans pareils artifices, trop vulgaires pour égaler la finesse de ses plans, de leur symétrie autant que de la beauté de leur composition.
Si l'on pensera, à ce sujet, à la fantastique dernière scène de possession pour appuyer le propos, il sera plus judicieux de reporter son attention sur la seule séquence de tension se situant en dehors de la propriété maudite; superbement filmé, ce passage affiche clairement tout le talent de composition du réalisateur, qui gère le pouvoir oppressif de la symétrie des plans avec un savoir-faire inattaquable, redorant l'image des films d'épouvante moderne en bâtissant un pont direct et référencé entre le cinéma d'horreur moderne et celui plus classique des années 50-60 (on pensera notamment au très bon La Maison du Diable).
Chose rare, il ne sera pas rare d'avoir envie de faire pause pour contempler les plans, de remettre en arrière pour comprendre comment il amène la menace, traite la peur et instaure l'angoisse. Maître évident du genre, James Wan donne une leçon de cinéma avec ce premier Conjuring en faisant preuve d'une finesse visuelle actuellement rare et qui jure forcément avec la lourdeur de ses jumpscares.
S'ils sont, comme évoqués, très réussis, ils n'en demeurent pas moins déplacés : pourquoi se rabaisser à tomber dans l'exercice facile quand le travail sur l'atmosphère se suffisait pour effrayer viscéralement les spectateurs? A la manière du remake de Ca (tout aussi bon soit-il), Les Dossiers Warren est gâché par sa visée grand public, en témoigne son écriture bateau et sans surprise, ramassis de stéréotypes et de passages forcés du genre.
C'est un peu le problème de Wan : plus réalisateur de commande (certes doué) qu'auteur au sens propre, il n'écrit jamais (ou presque) le scénario des films qu'il réalise. Forcément que sa vision des choses, seulement retranscrite visuellement, manque de finesse; comment rendre un film égal si les scénaristes (en l'occurrence les moyens Chad et Carey Hayes) n'égalent pas le talent du réalisateur?
C'est un soucis de carrière : que ce soit pour Fast & Furious, Aquaman ou le présent Conjuring, Wan, grand passionné de films de genre, ne peut visiblement pas s'empêcher de glisser, au milieu de scenarii médiocres, des hommages pas toujours discrets aux têtes pensantes qui l'ont inspiré. Cela se traduit souvent par des dialogues simplistes, des incohérences à tout va, des situations attendues qui ne surprennent plus que par son talent de réalisateur novateur.
Son soucis, c'est qu'il paraît incapable de faire un film qui s'inscrirait en dehors des figures qu'il admire : un peu comme Tarantino (toute proportion gardée), il ne s'émancipe que très rarement de ses idoles cinématographiques, condamnant la plupart de ses films à n'être que de superbes divertissements banals, piégés dans des clichés qu'on ne supporte plus, bâtis sur des situations qu'on connaît tous déjà, et qui peinent forcément à s'installer dans l'idée collective comme des oeuvres neuves, originales, qui apportent quelque chose à celui qui les suit.
A mi-chemin entre l'auteur et le Yes Man, James Wan montre une fois encore qu'un visuel réussi ne remplace pas la banalité d'une écriture trop codifiée, commune, sans grande prise de risque. Heureusement qu'il reste toujours inspiré pour palier au manque de surprises du scénario; réalisé par un autre metteur en scène horrifique actuel, Conjuring : Les Dossiers Warren n'aurait sûrement jamais fait date dans l'histoire du cinéma.
Une expérience presque entièrement sensorielle, qui a défaut d'amuser les cerveaux, joue avec nos tripes comme le malin y manipule les esprits.