Une sélection en festival annuel réputé, ici la Berlinale, ne rime décidément pas avec film de grande qualité. C’est en somme le cas de La voie de l’ennemi, long métrage signé Rachid Bouchareb, production française tournée aux Etats-Unis, stars hollywoodiennes à l’appui. Inspiré librement de l’œuvre de José Giovanni, Deux hommes dans la ville, La voie de l’ennemi se glisse tout naturellement dans la filmographique de l’auteur d’Indigènes ou encore de Hors la Loi. Peu importe la géographie, la société exposée, Rachid Bouchareb finit inlassablement par en revenir à son origine musulmane, ici une condition que le metteur en scène intègre à une histoire de rédemption dans une Amérique meurtrie qui se méfie de tous les éléments perturbateurs potentiels. En douce plongée dans les grandes plaines arrides du Nouveau Mexique, nous faisons donc la connaissance de William Garnett, détenu remis en liberté conditionnel à la suite d’une peine d’emprisonnement de 18 ans, converti en route à l’Islam, d’un Shérif local rancunier et peu avenant et d’un agent de probation bourrée de bonne volonté.
Le potentiel était donc bien là, d’autant que l’œuvre, portée par des acteurs de renoms tels que Forest Whitaker ou encore Harvey Keitel, sur le papier, pouvait faire espérer un monument psychologique et policier sur la condition de l’ex-détenu et de la crainte qu’il inspire. On connaît tous les difficultés rencontrées par ces individus, privés durant de longue année de leur liberté puis remis en libre circulation dans une société dont ils ne font plus partie. Mais de cela, Rachid Bouchareb n’en fait qu’une anecdote, de même que la liaison explosive entre le Shérif en poste et l’ex taulard en voie de rédemption. Tout commence très bien, le contexte est clairement défini, les personnages soigneusement présentés, mais l’heure passée, le metteur en scène se perd dans une conjonction morale que n’intéresse foncièrement personne. Prenant le parti de dresser le portrait du personnage principal, très porté sur sa nouvelle religion, là même que celle du metteur en scène, celui-ci en oublie en route de développer l’avenir des personnages dans leur intégralité. Importants dans la première moitié du récit, les personnages d’Harvey Keitel puis de Brenda Blethyn disparaissent tout simplement dans les rouages d’un film au fort goût d’inachevé.
Forest Whitaker est donc le pion maître dans le jeu de metteur en scène francophone, qui outre son scénario qui se désagrège au fil du temps, semble avoir maîtrisé son tournage aux USA. L’équipe technique, l’équipe de production sont en effet françaises, mais un tournage sur sol américain n’a pourtant pas dû s’apparenter à une promenade de santé pour le réalisateur, qui techniquement, s’en tire plutôt bien. Malgré tout, son film laisse entrevoir toutes les faiblesses du cinéma d’auteur français lorsqu’il se confronte aux grandes espérances d’un public qui voyait là l’opportunité de découvrir un film fort. Au final, sous ses allures de grand drame policier, se cache un film psychologique très personnel, certes bien filmé et interprété, mais qui laissera bon nombre de marbre devant son final aussi pessimiste qu’inattendu, dans le mauvais sens du terme.
Un film qui commence bien et qui finit mal, en somme. En dépit d’un tournage américain, de la présence de pointures à l’interprétation, je conseille fortement aux non-initiés des travaux de Rachid Bouchareb de découvrir au préalable ses deux précédents longs, tournés entre France et Maghreb forts d’une polémique pour le moins captivante. 07/20