A l'origine, Quai d’Orsay est une bande dessinée créée par Christophe Blain et Abel Lanzac (Antonin Baudry) qui retrace l’expérience de ce dernier au ministère des Affaires étrangères. Le réalisateur Bertrand Tavernier ne connaissait pas cette œuvre jusqu’à ce qu’un ami, qui fait d’ailleurs une brève apparition dans le film, lui fasse découvrir la BD en lui offrant : "Je l’ai lu dans la nuit, d’une traite. Dès le lendemain, j’ai demandé à mon producteur et associé, Frédéric Bourboulon, d’en acheter les droits d’adaptation."
Après sa sortie, la bande dessinée a reçu en tout 3 demandes d’adaptation. Deux pour un film, dont celle de Bertrand Tavernier, et une pour une série. A la base, Antonin Baudry était contre une adaptation, craignant qu’elle ne gâche l’univers BD. Mais après sa première rencontre avec le cinéaste, il a tout de suite accepté.
Pour scénariser le film, les deux auteurs et le metteur en scène se sont retrouvés chez le scénariste Antonin Baudry à New York : "J’aime l’idée d’être coupé de tous les problèmes quotidiens liés à mon boulot en France, à la SACD, à Little Bear, à la réparation de la machine à laver… Dès L’Horloger de Saint-Paul, j’ai toujours cherché à pratiquer l’écriture délocalisée, dans la mesure du possible", confie le réalisateur. Seulement, cette première expérience créatrice s’est déroulée juste après le passage d’un ouragan qui avait ravagé la ville : "Un de nos rares déjeuners a eu lieu dans un restaurant italien très chic, à l’intérieur duquel il pleuvait. On a changé trois fois de tables, puis de places à la même table pour éviter les gouttes. Car l’arrosé se concentrait moins bien que les autres !"
Le personnage d'Arthur, fan de Star Wars dans la BD, est censé être envahi par des rêves de science-fiction. Or, ces scènes qui permettent de représenter l’imaginaire du personnage sont extrêmement difficiles à reproduire à l’écran : "Comment représenter la vie intérieure d’un personnage ? Dans la BD, on l’a fait beaucoup par métaphores visuelles, en référence à des univers cinématographiques codifiés. Métaphores impossibles à copier-coller dans le film", précise Antonin Baudry. Bertrand Tavernier a donc eu l’idée de développer davantage le personnage de Marina, la compagne d’Arthur, pour illustrer la vie de ce dernier en dehors du travail.
Quand on entreprend l’adaptation d’une œuvre, il arrive fréquemment que le réalisateur et l’auteur entrent en conflit. Ici, l'un des rares sujets de discorde était de déterminer quel serait le groupe préféré du personnage Arthur Vlaminck : "Antonin militait pour Metallica, moi pour Led Zeppelin !", déclare Bertrand Tavernier.
Durant la scénarisation du film, l'auteur / scénariste Christophe Blain sortait d’une période de travail intense et n’avait quasiment pas dormi pendant 6 mois. En arrivant à New York, il pensait pouvoir se reposer sur le talent du metteur en scène : "Or, sa première déclaration a été : "J’ai fait le déplacement pour travailler avec vous. Profitons-en au maximum. S’il le faut, on écrira jusqu’au milieu de la nuit !" À cet instant précis, j’ai failli m’évanouir !", se rappelle-t-il.
Bertrand Tavernier aime changer radicalement de genre d'un film à l'autre. Il passe ainsi du drame historique La Princesse de Montpensier à Quai D’Orsay, qu’il considère comme sa première comédie : "Avec Quai d’Orsay, on est dans une réalité moderne, contemporaine, celle d’un cabinet ministériel (…), c’est aussi une sphère dont j’ignorais tout, c’est-à-dire le travail quotidien de la diplomatie. Or, ce qui déclenche toujours mon désir de cinéma, c’est l’exploration de mondes, d’époques, de milieux qui me sont inconnus". Pour accentuer l’exploration d’un nouvel univers et retrouver le challenge de ses débuts, le réalisateur modifie régulièrement les membres de son équipe.
Niels Arestrup interprète ici Claude Maupas, librement inspiré de l’ancien directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Pierre Vimont. Or, la manière de s’exprimer du diplomate est très différente de celle l’acteur. Bertrand Tavernier a donc demandé à Antonin Baudry d’imiter le personnage devant le comédien : "Niels m’a foudroyé d’un regard dur, très noir, effrayé à l’idée de devoir jouer avec cette voix et ce phrasé. Moi, je ne savais plus où me mettre mais je continuais bêtement mon imitation, en ayant l’impression que j’allais me faire stranguler d’une seconde à l’autre !"
Le personnage d’Alexandre Taillard de Worms, incarné par Thierry Lhermitte, s’inspire bien évidemment de Dominique de Villepin. Le défi pour le comédien était de ne pas tomber dans la caricature, comme le précise le metteur en scène : "Dès les premières lectures, il m’a proposé une idée originale, qui lui permettait de s’approprier le personnage : doubler chaque propos par un geste extravagant, censé l’illustrer. (…) C’est d’autant plus jubilatoire que, ces dernières années, Thierry a tenu beaucoup de rôles sérieux, au cinéma comme au théâtre. Là, j’avais l’impression de réactiver le Lhermitte délirant des années Splendid, la maturité en plus."
Durant son expérience au ministère des Affaires étrangères, Antonin Baudry fut relogé au bureau de la secrétaire de Pierre Vimont (Claude Maupas) et était souvent bousculé par des visiteurs. On retrouve cette scène dans le film Quai d'Orsay, mais cette fois, Baudry incarne un de ces passants pénibles : "Sur le moment, je me suis demandé : 'Qu’es-tu en train de faire ? Tu malmènes un mec qui est toi il y a dix ans !'"
Une des premières expériences de Bertrand Tavernier dans le cinéma remonte à Léon Morin, prêtre en 1961 : "J’ai été marqué à vie par mon assistanat chez Melville, par le climat de dureté, de terreur, d’humiliation qu’il imposait au plateau… J’avais vingt ans et je me suis dit : 'Si un jour je deviens metteur en scène, il faudra que je crée une autre idée du travail en commun'". Ainsi, le réalisateur met un point d’honneur à ce que règne une bonne ambiance sur son plateau : "Quand Bertrand tourne, il déconne tout le temps, il fait des blagues, il chante…", confie Christophe Blain.
Dans "Quai d'Orsay", on aperçoit le portrait du Président de la République dans le bureau du directeur de cabinet incarné par Niels Arestrup. Malicieux, Tavernier lui a donné les traits du réalisateur Jean-Paul Rappeneau.