La question se pose bien là, que reste t-il aujourd'hui du mythe de Dracula sur grand écran, lui qui est, au bas mot, le personnage de littérature, et inspiré d'un personnage réel, Vlad III l'Empaleur, le plus adapté du septième art ? Honnêtement pas grand-chose, de son époque faste des années 1960/1970 au chef d’œuvre de Coppola au milieu des années 1990, seuls les cinéphiles les plus endurcis ou les vrais amoureux du bonhomme gardent à l'esprit une image un tant soit peu saine de sa légende, tant il ne reste de lui dans le cinéma contemporain qu'un statut méchamment souillé par une pléthore de films vraiment pas terribles.Un comble quand on sait que le genre vampirique ne s'était jamais aussi bien porté sur le petit et le grand écran que durant la dernière décennie. Officiellement apparu un brin pimpant pour la dernière fois dans le foutraque mais généreux "Van Helsing" de Stephen Sommers (on notera aussi le sympathique film animé axé sur sa personne et sa progéniture, "Hôtel Transylvanie"), l'une des icônes majeures du cinéma d'épouvante a donc eu droit à son rafraîchissement via "Dracula Untold", premier long-métrage du jeune réalisateur Gary Shore, vendu comme l'histoire qui n'a jamais été racontée sur le Comte, rien que ça. L’histoire débute en 1462. La Transylvanie vit une période de calme relatif
sous le règne du prince Vlad III de Valachie et de son épouse bien-aimée Mirena. Ensemble, ils ont négocié la paix et la protection de leur peuple avec le puissant Empire ottoman dont la domination ne cesse de s’étendre en Europe de l’Est. Mais quand le sultan Mehmet II demande que 1000 jeunes hommes de Valachie, dont le propre fils de Vlad, Ingeras, soient arrachés à leur famille pour venir grossir les rangs de l’armée turque, le prince doit faire un choix : abandonner son fils au sultan, comme son père l’avait fait avant lui, ou faire appel à une créature obscure pour combattre les Turcs et ainsi assujettir son âme à la servitude éternelle. Vlad se rend au pic de la Dent Brisée où il rencontre un abject démon et il conclut un accord faustien avec lui : il acquerra la force de 100 hommes, la rapidité d’une étoile filante et les pouvoirs nécessaires pour anéantir ses ennemis, en l’échange de quoi, il sera accablé d’une insatiable soif de sang humain. S’il parvient à y résister pendant trois jours, Vlad redeviendra lui-même, et sera à même de continuer à protéger et gouverner son peuple, mais s’il cède à la tentation, il entrera le monde des ténèbres pour le restant de ses jours, condamné à se nourrir de sang humain et à perdre et détruire tout ce et ceux qui lui sont chers
. Sous ses allures de série B limitée, voir de biopic inédit et super héroïque (la promotion du film le vendait presque comme le "Dark Knight" de Christopher Nolan, version quinzième siècle), force est d'admettre que de prime abord, cette version sur une naissance "jamais contée" aussi audacieuse (le mythe, retourné dans tous les sens, attendait un peu d'inventivité depuis bien longtemps) que casse-gueule (la richesse de l'histoire de Vlad, le classement PG-13 et le titre un poil trop évocateur, pour ne citer que ça), pouvait effrayer pas mal, malgré un argument de poids qui pesait fièrement dans la balance : son casting finement choisi, entre les talentueux et sous-estimés Luke Evans et Dominic Cooper, la sublime étoile montante Sarah Gadon et le précieux Charles "Tywin Lannister" Dance. Et pourtant, même si mes espérances à son sujet étaient dangereusement proches de zéro (ce qui m'empêchait d'être lourdement déçu à sa vision), ce "Dracula Untold" étonne par sa qualité et son étonnante cohérence, incarnant ni plus ni moins qu'un divertissement solide et épique, motivé par l'unique prétention que de faire passer à son spectateur un moment hautement plaisant. Offrir un retour aux sources du mythe via un angle nouveau et différent de ceux usés habituellement, en exposant la transformation de Vlad et les raisons de son choix, en transformant le personnage en guerrier sombre (on ne l’appelait pas l'Empaleur pour rien en même temps) et tiraillé par la volonté de protéger aussi bien sa famille que son peuple face à la puissance de l'empire Ottoman : voilà un pari des plus audacieux donc, mais relevé haut la main avec une étonnante réussite par ce "Dracula Untold", donnant du sens et une légitimité inattendue à la réapparition du maître des ténèbres dans nos salles obscures, retour pour le coup loin de n'être qu'un vil outil commercial. Blockbuster à la fois romantique, historique, fantastique et couillu, le long-métrage oublie judicieusement l'aspect horrifique du mythe de Dracula (que l'on retrouve uniquement dans les rencontres tendues entre le héros et le maître vampire) pour offrir à son histoire un mélange mi-action, mi-romanesque salvateur, mené tambour battant et sans réel temps mort. Mieux, si beaucoup pourront lui reprocher de revisiter de manière un peu trop moderne l'histoire de Dracula, en le rendant notamment quasiment super héroïque, ce film a l'intelligence d'ancrer sa narration dans des bases historiques avérées et une réécriture crédible de la légende, s'appuyant constamment sur l'histoire réelle de Vlad Tepes. C'est une mise en lumière de l'Empaleur plus que du vampire version Bram Stoker en somme qui, si elle souffre de plusieurs incohérences et facilités dans son récit, ne peut qu'emballer le spectateur par son honnêteté et son efficacité. Élégant, haletant et méchamment épique, mais pas dénué de quelques défauts assez dommageables (sa courte durée, à peine une heure et demie, qui ampute le développement des seconds rôles et des intrigues secondaires, ou l’action qui prend parfois un peu trop le pas sur la narration qui, justement, n'est pas si "Untold" que ça), ce blockbuster remporte cependant clairement l’adhésion grâce à son visuel et ses décors foutrement bien foutus, ainsi que ses effets spéciaux soignés et remarquables. La mise en scène inventive du pourtant novice Gary Shore séduit même par sa maîtrise et son savoir-faire, le bonhomme alternant plans subjectifs, vues panoramiques et cadrages au ras du sol et dans les airs, avec une fluidité étonnante. Quand à sa direction d'acteurs, elle est frappée par la même qualité d’exécution, puisqu'elle rend admirablement justice à la composition d'un Luke Evans habité, charismatique, badass et sincèrement convaincant en Vlad, à l'aise aussi bien dans l'action virile que dans les scènes les plus intimes. A ses côtés, si l'on se délecte de la prestance inquiétante de Charles Dance, et qu'on déplore un poil la sous-utilisation de la sublime Sarah Gadon dans la peau de l'épouse du héros, on notera surtout la composition impliquée d'un Dominic Cooper parfait dans la peau de Mehmet II, un rôle de méchant qu'il semble tenir avec un certain plaisir non dissimulé. Par ailleurs, on peut aussi noter la présence au casting de Art Parkinson, alias Rickon Stark dans la série "Game of Thrones". Par ailleurs la photographie est sublime et les costumes sont splendides. Généreux, humble, contemporain et old school à la fois, intense et dénué de toute théâtralité, "Dracula Untold" est en définitive un très bon blockbuster, tragique, poétique, émouvant et épique, et est un de ces sympathiques films pop-corn à l'aventure haletante et épique qui assure le spectacle à défaut de porter en lui ce qui le rendrait définitivement génial et culte. Dans l'état, c'est déjà plus que bien, vu que je n'en attendais pas grand-chose, et clairement rien de très glorieux. Du bon sang neuf (jeu de mots nul mais tant pis) sympathique et différent, qui rajeunit le plus immortel des super monstres, mais qui fait surtout définitivement plaisir à voir. Une très agréable surprise en définitive