Lorsque le père Ducrasse affrontera, au mousquet, des monstres géants ; lorsque deux prostituées d'Europe de l'Est, Esmeralda No-nose-job et Nympho des Bois, donneront la réplique à deux acteurs aussi exceptionnels qu'Audrey Lamy de la Télévision française, connue pour son rôle subversif dans Scènes de ménages, et Jonathan Demurger de la Télévision française, connu pour son rôle subversif dans Seconde Chance ; lorsque Léa Seydoux, real-life princesse arrogante, jouera l'héroïne d'un conte ; à ce moment-là, vous comprendrez que le très inspiré Christophe Gans défie Cocteau et Disney à l'image de synthèse. Et ce combat déloyal, quelques trente-trois millions d'euros contre quelques idées, le réalisateur du Pacte des loups l'a cherché puis perdu de la manière la plus pitoyable qui soit. Quel honneur trouver dans un tel gaspillage, quand le cinéma français en est réduit à proposer, la même semaine, Supercondriaque et Week-ends ?
Beau et bête, ou plutôt beau et abruti, ou plutôt beau et affligeant : ce film, dont les prouesses techniques et les somptueux costumes -une vie pour une robe- ont capté l'entier budget, impressionne par tant de mauvais choix. Celui, surtout, d'une bande de guignols à la diction et à la crédibilité d'un monstre, le résultat d'un croisement entre un Orlando Bloom bègue et un personnage secondaire de drama taïwanais. Il en ressort que seuls Vincent Cassel et Léa Seydoux, qui pourtant font de la figuration et ne convainquent pas, méritent la qualité d'acteurs ; seul ce couple, à croire formé pour les besoins d'une émission de téléréalité tant il n'est entre eux d'alchimie, surmonte la terrible épreuve du scénario écrit par un type bourré résumable ainsi :
Belle (jour 3) : "Vous n'êtes qu'une bête, jamais je ne vous aimerai ! Hu bidet, conduis-moi chez mon papounet !"
Papounet (quelque part entre le début et la fin, les yeux rivés sur le décolleté de sa fille préférée, une carotte dans la main) : "Vous serez bientôt une femme..."
Belle (jour 4) : "Hu bidet, conduis-moi chez la Bête ! C'est mon seul souhait, je l'ai toujours aimée !"
Chaque parole, chaque expression, chaque geste vide l'œuvre littéraire de sa substance, pille son imaginaire et annihile sa portée ; à ce point, d'ailleurs, que de risible, le film de Gans passe à nuisible. Un gag cher payé, écœurant de dilettantisme et dans lequel les fabuleux objets animés du Disney disparaissent au profit de bestioles inaptes à attendrir comme à meubler.