En 2013, l’acteur-réalisateur Joseph Gordon-Levitt signe avec "Don Jon" son premier long-métrage. Le titre sélectionné rappelle avec virtuosité le mythe, mainte fois revisité, de Dom Juan; dont particulièrement demeure, dans les archives de la littérature française, la comédie éponyme de 1682 du célèbre dramaturge et comédien Molière. Le sujet attise en ce sens la curiosité des personnes désireuses de découvrir une réécriture modernisée du personnage. L'histoire est celle de Jon Martello qui est un beau mec que ses amis ont surnommé Don Jon en raison de son talent à séduire une nouvelle fille chaque week-end. Mais pour lui, même les rencontres les plus excitantes ne valent pas les moments solitaires qu’il passe devant son ordinateur à regarder des films pornographiques. Barbara Sugarman est elle une jeune femme lumineuse, nourrie aux comédies romantiques hollywoodiennes, bien décidée à trouver son Prince Charmant. Bourrés d’illusions et d’idées reçues sur le sexe opposé, Jon et Barbara vont devoir laisser tomber leurs fantasmes s’ils veulent avoir une chance de vivre enfin une vraie relation… Les clichés utilisés quant à la mise en scène ou les caractéristiques marquantes des différents protagonistes servent judicieusement le fil conducteur d’une histoire plus approfondie qu’il n’y paraît aux premiers abords. La lecture en double sens de ses grandes lignes s’avère intéressante; le déploiement de diverses émotions, indéniable. Rythmé, le scénario propose un enchaînement des événements dynamique, humoristique, piquant. L’ambiance générale oscille entre tension et légèreté. Évocatrice, la peinture parodique d’une société individualiste suscite automatiquement des réactions diversifiées de la part d’un public qui, s’identifiant à elle ou se révoltant contre elle, ne peut que sourire devant les situations comiques caricaturées présentes à l’écran. En ce qui concerne le casting, la prestation des acteurs principaux se révèle correcte. Si Scarlett Johansson revêt les traits d’une certaine vulgarité dans la peau de Barbara Sugarman, la légitimité de son rôle au regard de l’évolution de l’aventure reste fondé. La simplicité de la chute, bien que prévisible, clôture en douceur la vision égoïste de l’amour et de l’acte sexuel. Le premier film de Joseph Gordon-Levitt est vraiment une bonne surprise. Soignant sa réalisation, son ambiance et son sujet, l’acteur gagne ses galons d’auteur et nous offre une comédie drôle, sexy et plus profonde qu’il n’y paraît. La comédie sexuelle et sexuée est revenue à la mode avec le fameux film "Sexe entre amis" qui explorait des formes nouvelles d’amitiés sexuelles. Joseph Gordon-Levitt qui signe ici son premier film nous livre une œuvre surprenante, très explicite dans son traitement de l’addiction au porno et bizarrement attachante. Don Jon est un kéké. Puissance 10, à l’américaine. Un maniaque insupportable drogué à son style de vie ultra balisé qui lui permet de tracer son chemin sans réfléchir. Les potes, les filles, l’église, la famille, la musculation…. Et le porno. Le montage s’amuse à répéter à l’infini enchaînement mécanique de ces activités qui rythment le quotidien de Jon, avec des gimmicks qui reviennent constamment comme le son d’ouverture du PC qui annonce la séance masturbation. L’arrivée de deux femmes va casser cette routine très travaillée et fragiliser notre héros peu habitué à se remettre en question. La bombe sexuelle d’abord bien sûr, incarnée par une Scarlett Johansson étonnante. Un monstre de sensualité (incroyable scène de sexe simulé avec vêtements) qui dévore tout sur son passage et se révèle sous ses airs de nunuche une dictatrice en puissance. Puis une autre femme, moins attendue, plus mature, interprétée elle par Julianne Moore. "Don Jon" est une comédie souvent drôle, jouant des situations et des personnages avec un vrai sens du comique. Mais Joseph Gordon-Levitt a surtout l’immense mérite de ne pas lâcher son personnage et d’étudier ses thèmes jusqu’au bout. Ce Don Jon, sorti d’un moule et d’une morale ultra rigide, va évoluer tout au long du film, en apprenant le couple avec le personnage de Barbara interprété par Scarlett Johansson, et en réussissant à s’abandonner avec le personnage féminin interprété par Julianne Moore, ce personnage à la fois insupportable et touchant. Sa vie mécanique et déshumanisée (on se confesse comme on se masturbe et on récite ses "Je vous salue Marie" pour obtenir l’absolution en soulevant des haltères), cette confiance en soi ignorante et naïve, est justement le portrait réaliste d’une certaine Amérique sûre de ces certitudes et incapable de se questionner. Le thème du porno n’est pas anodin et reste central sans jamais rendre le propos aimable. Le porno est ici symptôme de la volonté de toute-puissance mais aussi le refuge. L’aspect débridé autour de l’idée de pornographie et de ses conséquences, positives ou négatives, peut toutefois susciter un recul de pudeur. A l’image de nombreux films actuels, la représentation de la femme en prend ici également pour son grade, malgré les élans de morale politiquement corrects pressentis dans le grand final. Si la lecture en double sens, mentionnée précédemment, existe et illustre les sentiments des deux sexes opposés, elle n’en demeure pas moins faible concernant la gente féminine. En effet, "Don Jon" a beau être pétillant, une tendance légèrement machiste guette. Dans cette optique, l’espoir de rencontrer, dans l’univers cinématographique, une œuvre exposant les instincts primitifs sexuels des femmes face au monde masculin, éloignée de leur sentimentalisme (réel certes, mais excessivement médiatisé et exagéré) se fait tenace. Inclassable avec son esthétique et sa musique un peu vintage, son mélange des genres pas banals et ce personnage singulier, "Don Jon" est un très bon film, un très singulier drame romantique et un conte moderne sexué, lucide mais profondément optimiste. Un auteur est né et on attendra son second film avec impatience. En attendant, le projet de Joseph Gordon-Levitt mérite le coup d’œil. A découvrir