Un chef d'oeuvre, c'est rare.
Et c'est bien pour cela que je reprend le clavier que j'avais abandonné depuis 1 an sur "Allo mais allociné quoi !".
Vous allez partager la vie d'une goulue, d'une femme qui mange, qui avale, qui lèche, qui boit, qui vit. Pas une intellectuelle sclérosée, pas une cérébrale qui pense ses choix, pas une calculatrice qui va choisir le partenaire idéal. Non, l'homme ou la femme qu'elle va choisir, il faut d'abord qu'elle ait une envie irrépressible de la(e) b....r !
C'est tout simple, c'est le seul message de ce magnifique film. Pas d'amour, pas de romantisme, pas de lesbiannisme, juste une soif de sexe avec un corps qui la fait vibrer... et éventuellement la solitude de ceux qui ne souffrent pas les faux semblants, grâce à un instinct incroyablement juste (sinon pourquoi cette aventure hétéro ? Face au premier "adultère" bleu ?).
Ce qui est superbe dans ce film, c'est qu'il n'y a pas de faute intellectuelle, pas de faute de vraisemblance, pas d'idéologie. Le réalisateur a fait preuve d'une rare pertinence et d'un rare détachement. Ses personnages vivent réellement. La pétasse qui se la pète en alignant les déclarations artistiques provinciales vides de sens que joue (tout naturellement) l'une de nos pires actrices, Léa, (ayons la bonté de ne pas nommer ses parents !) et l'universelle, la princesse de l'écran, Adèle. Miraculeuse de naturel, ses yeux font les sous-titres, sa bouche débordant de pâtes ou de morve expriment la vie, la vraie, qu'on a peut-être vue dans "Voyage au bout de l'enfer", et encore.
Je ne suis pas pro-Kechiche, il est même à l'antipode de mes valeurs personnelles, mais devant le génie et le travail effectué, je ne peux que m'agenouiller, il a enlevé toute prétention à la fiction, tout est vraisemblable, tout est analysé, (3 heures ne sont pas de trop) tout est proposé sans que jamais on se dise : "non, là ça paraît bizarre, je n'aurais jamais fait ça si j'avais été à sa place". Bon c'est sûr, il faut avoir vécu des passions charnelles malheureuses pour parler comme ça, la vie en couple bardée de chiards ne permet pas de sentir à quel point la solitude d'Adèle est primaire, sexuelle et réelle... et partagée par des millions de personnes.
Certes, comme il l'explique dans certaines de ses interviews, certaines lenteurs (les scènes d'école) sont superflues, mais pourtant indispensables, elles accompagnent le réalisme de la vie en société de ses membres les plus extrêmes qui savent professionnellement si bien faire semblant.
Adèle n'aime pas, elle mange, elle vit, elle phagocyte, tout en restant à sa petite place de Bac+2 provinciale. Tout respire la vie dans ce film, à tel point que la fiction se dérobe, sans jamais passer en mode documentaire.
Le génie, et il fallait le maîtriser, c'est la photographie plein cadre sur les visages, pour la première fois au cinéma (j'ai 2000 films en salles à mon actif) un simple visage exprime le charnel, l'appétit, le sexe, l'affection. C'est un plaisir hédoniste qui est cent fois plus fort que les scènes de sexes lesbiens pour un hétéro mâle comme votre serviteur.
Comme tout est superbe dans cette réalisation, on passe rapidement sur le côté porno-chic des scènes de cul, aucun homme ne pourrait sincèrement s'en plaindre, les hétéros y trouveront une réflexion sur le "beau sexe" quand il s'occupe de lui-même. Et si l'intention du réalisateur était de nous en faire part, on ne peut rien y dire. Leur absence n'aurait rien changé au choc des scènes "nobles", c'est en fait la cerise sur le gâteau, on peut les censurer, on sera toujours aussi bouleversé par le reflet du soleil d'hiver sur l'oeil magnifiquement anodin d'Adèle sur un banc d'un parc de Lille.
J'ai rarement senti la vie dans un film comme je l'ai vécu dans "La vie d'Adèle". Et je compatis avec le réalisateur de la tournure désastreuse qu'a pris la promotion du film (de la part de Léa S, je n'en attendais pas moins) car j'imagine qu'il avait cru possible de nous dévoiler la suite, la vie un peu moins solitaire de l'héroîne, tellement attachante, tellement vraie, tellement belle. On l'aime un peu en fait !
Un chef d'oeuvre, c'est rare, et comme le lesbianisme n'est pas le sujet principal, mais bien la liberté de courir après ce qui vous fait vibrer, ce film est un joyau du pays des Lumières. C'est d'autant plus incroyable qu'il nous vienne d'un Tunisien qui doit mieux reconnaître le prix de notre modèle laïque que nos dirigeants rosâtres traîtres à la nation, et c'est un signe d'autant plus révélateur que les meilleurs films sur les couples ces derniers temps, "séparation" et "passé" sont l'oeuvre d'un iranien francophone !
Ensuite, de manière plus académique, je pourrais parler du jeu miraculeux de l'actrice principale, de la beauté (sans esthétisme obséquieux) de la photographie, de l'hommage à la jeunesse sans aucun voyeurisme ni perversité, de la perfection "naturelle" de ce film. Mais ce serait du temps perdu.
Tout a déjà été dit. C'est simplement parfait, à la fois dans sa perfection étudiée, dans ses miracles vécus "en live" et dans ses longueurs ou ses scories.
On peut aussi critiquer des ellipses trop évidentes, après le dîner hypocrite chez les parents d'Adèle, on aurait savouré une scène d'engueulade de Léa, mais non, rien, peut-être est-ce même le déclic qui fait prendre de nouveaux choix à la fille aux cheveux "chauds" et pourtant si froide. Mais il faut bien un peu d'amertume pour donner plus de goût à un banquet.
En tout cas, une fois n'est pas (et loin de là) coutume, je salue le choix de la palme cannoise (mais avaient-ils seulement le choix !).