Adèle Exarchopoulos pleure par le nez. C'est là l'incongruité la plus majeure que l'on puisse relever dans un film ou les poncifs sont par ailleurs invités à tout instant, pas une seule fois mis en perspective, et perpétuellement brossés dans le sens du politiquement correct.
Concernant la singularité en question, n'ayez crainte, vous ne pourrez la manquer cependant : des gros plans de cette morve en fontaine vous seront imposés toutes les cinq minutes dans ce parcours éprouvant qu'est "La vie d'Adèle" pour son spectateur. En gros plan également, pèle mêle, des spaghettis suintant de bolognaise, le corps des actrices, des fruits de mer... Pour monsieur Kechiche, cadrer serré est la seule méthode pour saisir l'essence de la vie, voyez vous. Mais à filmer en gros plan et en boucle un poisson rouge dans son bocal, il reste peu vraisemblable de voir surgir Moby Dick.
Du coup, on peut légitimement être vite saisi d'un doute, lequel a le temps de prendre corps vue la durée de la punition : ne pourrait-on pas aussi soupçonner, dans cette obsession macroscopique à zoomer sur tout et surtout rien, un subterfuge venant masquer le vide immense autour d'Emma et Adèle?
Quoi qu'il en soit, si on nous les prétend passionnées, les deux jeunes femmes ne sortent pourtant vaguement de leur torpeur que dès lors qu'elles s'ébattent. Entre temps, rien. Pas le début d'un quelconque partage, pas l'once d'un infime instant complice faisant sens, pas la queue du moindre érotisme justifiant leur frénésie charnelle.
D'ailleurs, les scènes où celle-ci se manifeste sont d'autant plus incongrues qu'elles donnent le sentiment d'assister aux pics dramaturgiques du film. Un peu comme si sur Youporn, les scènes les plus convaincantes se jouaient tout habillé. Sincèrement, le vertige peut vous saisir devant un tel abîme.
Malheureusement, la gène ne s'arrête pas là. On pourrait avoir la clémence de se persuader, chemin faisant, que l'on veut peut-être nous asséner là une vérité apparemment implacable : sans le sexe, point de rapports amoureux. Et ce, que l'on soit homo ou hétéro. Oui ma bonne dame, tenez le vous pour dit !
L'oeil de la caméra, comme son réalisateur, ne recule devant rien pour nous alléguer cet apostolat. Elle s'engouffre aux moments opportuns, très (trop) nombreux, dans des plans quasi-gynécologique, déballés avec une complaisance pénible, nous prenant en otage du voyeurisme visiblement hétérosexuel du réalisateur. Ces interminables galipettes sont d'autant plus dérangeantes si on les mesure à l'aune de leur inutilité scénaristique. Posent d'autant plus question dès lors que l'on se rappelle également que l'une des deux damoiselles en pâmoison est sensée être mineure, soit dit en passant.
Là dessus non plus, aucun questionnement ne sera porté, la chose étant bien vite reléguée au rang d'anecdote. Tout est égal, rien n'est grave.
Osons le dire, il y a mensonge sur la marchandise, car de marchandise il n'y a pas. On veut nous vendre une passion qui ne s'exprime jamais; les protagonistes ne vivent rien, n'ont à contempler que la passivité de leurs personnages mornes, ne tirent pas le moindre fil des pâles ressorts narratifs s'esquissant ça et là.
Le plus alarmant reste malgré tout l'accueil dithyrambique de la critique. Si l'on se fie à l'Histoire avec un grand H, l'éloge du vide ne présage que rarement un avenir zen. Peut-être serait-il temps que Cannes couronne un peu d'humanisme universel, plutôt que de porter au nues la vacuité la plus passe-partout.
A tout bien peser, j'inclurai la prochaine fois mon poisson rouge dans mes options cinématographiques, on ne sait jamais. Car ce soir, tout banal que je suis, c'est à l'oeil que j'ai la larme, au vu de ces trois heures perdues.