Quand j’ai appris le lancement du projet d’adaptation de la bande dessinée « Le Bleu est une couleur chaude », je n’en étais que très peu intéressé. Premièrement, ce serait un film d’auteur et j’ai toujours eu du mal à accrocher à ce cinéma, je n’avais pas vu un seul film d’Abdellatif Kechiche, et je ne connaissais pas le sujet de l’œuvre d’origine. Mais, grâce au festival de Cannes, je me suis légèrement penché sur la prémisse du long-métrage, et, le thème de la jeune fille qui tombe amoureuse d’une artiste aux cheveux bleus a quelque peu éveillé ma curiosité. Puis, je lis quelques critiques du film et j’apprends qu’il y a précisément 17 minutes de scènes de cul dans tout le film ! Autant vous dire qu’il y avait bien plus que ma curiosité qui s’était éveillée ! Puis arriva l’argument ultime : Steven Spielberg, le réalisateur et l’homme que j’admire le plus au monde, remet la Palme d’Or 2013 à « La Vie d’Adèle » ! Le doute n’était plus permis : le 9 octobre 2013, le Cinéville de Lorient compterait cinq euros de plus dans ses caisses !
Je suis donc allé voir ce film avec beaucoup d’espérances et je suis ressorti de la salle avec le sentiment d’avoir vu l’un des meilleurs films de l’année, et une des histoires d’amour m’ayant le plus touché !
Tout d’abord, bien évidemment, ce film ne plaira pas à tout le monde car nous somme devant un pur film d’auteur. Mais contrairement à certains films d’auteur que je trouve incroyablement chiants, c’est justement cette caractéristique qui va donner une véritable identité et une force à « La Vie d’Adèle » ! Premièrement, le film est d’un réalisme encore jamais vu au cinéma ! Que ce soit dans les dialogues très naturels qui peuvent sembler banals au premier abord, ou dans le choix de n’avoir inséré aucune musique « off » pendant les trois heures de film, on est vraiment plongé dans une sorte de documentaire où la caméra suit une jeune femme pendant cinq ans ! Mais, évidemment, le réalisme atteindra son paroxysme dans les fameuses scènes d’amour qui ont tant fait polémique au Festival de Cannes. Et honnêtement, je ne m’attendais pas à ça. Les critiques ont beau avoir rabâché mille et une fois que ces scènes de sexe étaient crues et osées, je ne pensais pas qu’elles seraient aussi crues et aussi osées ! Outre une bite et un vagin qui passent dire bonjour au détour d’un plan, on n’est pas dans du cinéma pornographique heureusement. Mais on est clairement dans de l’érotisme haut de gamme ! Et on voit bien que l’intention de Kechiche était de nous choquer puisque la toute première scène de sexe entre Adèle et Thomas est tournée dans l’ombre, alors que la deuxième, entre Adèle et Emma, est aussi éclairée qu’un plateau de tournage de Michael Bay! Évidemment, on peut y voir une métaphore et un effet de mise en scène (La vie sexuelle d’Adèle s’illumine avec Emma !) mais si on prend en compte la durée de cette séquence (plus de cinq minutes), les deux autres scènes d’amour qui suivront par intervalles de dix minutes, et l’énergie des deux protagonistes, on ne peut qu’être choqué par ce que l’on voit ! Mais rassurez-vous, ces quatre scènes vont s’enchaîner très vite, sont plutôt esthétiques et ne figurent que dans la première partie du long-métrage. C’est bien une histoire d’amour que nous raconte Kechiche, et l’histoire va largement prendre le dessus sur les scènes d’amour. Et cette histoire-là est juste magnifique !
Évidemment, la structure générale du scénario est assez classique. Comme dans toutes les romances, on suit le schéma «
coup de foudre ; scènes d’amour ; ennui ; adultère ; rabibochage
». Mais encore une fois, c’est justement le traitement de cette romance qui va rendre cette histoire intéressante. Le coup de foudre arrive après environ
vingt
minutes de film et la rencontre entre les deux jeunes femmes survient
une demi-heure après
! C’est une idée géniale car elle nous permet de croire en l’histoire et se mettre réellement à la place du personnage d’Adèle. En effet, avant cette fameuse rencontre, on va suivre la quête identitaire et sexuelle d’Adèle par le biais d’une première
aventure décevante (pour Adèle) avec le séduisant Thomas, puis d’un râteau avec une fille de sa classe
. On vit réellement le tumulte psychologique d’Adèle, et sa fascination pour Emma, une fille qui assume parfaitement son homosexualité et sa différence (renforcée par ses cheveux bleus) est donc parfaitement crédible aux yeux des spectateurs. De plus, le fait que ces deux personnages ne se recroisent plus pendant
une demi-heure
de film, et qu’Adèle rêve et se masturbe même en pensant à elle, crée une véritable attente de retrouvaille entre les deux protagonistes de la part du spectateur ! Et l’explosion charnelle qui va en résulter ne nous paraîtra donc ni surfaite ni exagérée. La deuxième partie du film se centre sur la vie d’adulte d’Adèle, et suit pratiquement le même schéma général que la première partie, à une seule exception : Adèle et Emma vivent ensemble. On va de nouveau suivre une période de
doute chez Adèle (Suis-je avec la bonne personne ? Emma est-elle fidèle ?), qui va décider de tromper Emma avec un collègue de travail, ce qui va engendrer la rupture entre les deux amantes, et c’est reparti pour une demi-heure insupportable (pour Adèle) où l’on n’attendra comme des fous qu’Adèle et Emma se remettent ensemble. Et la scène où elles se revoient de nouveau après plusieurs années est juste magnifique tellement on ressent les pulsions et les émotions des deux protagonistes ! Et encore une fois, cette scène va durer dix minutes, ce qui est la durée parfaite.
C’est incroyable de voir avec quelle facilité Abdellatif Kechiche réussit à parfaitement doser les durées de ses scènes et à manipuler nos émotions ! Du coup, après toutes ces émotions que nous avons ressenti, Kechiche ne pouvait pas avoir meilleure idée que de conclure son film par une fin
ouverte. Dans un sens, la fin est clairement malheureuse puisqu’Adèle décide d’abandonner l’idée de reconquérir Emma, qui est en couple avec une autre femme, mais cette fin garde quand même une part d’espoir car non seulement on peut penser que Samir va ramener Adèle à la fête, mais en plus, on se doute qu’Emma aime toujours Adèle (la scène de retrouvaille dans le bar), mais qu’elle décide de rester avec sa nouvelle compagne uniquement par principe (elle a fondé une famille avec Lise et qui aurait les couilles de tromper sa femme avec son ex alors qu’on a justement largué cette ex à cause d’un adultère ?). On peut faire sa propre interprétation mais, fan de Spielberg oblige, je préfère croire que cette histoire n’est pas terminée et peut connaître une issue heureuse.
Un autre point important du scénario qu’il faut noter, c’est son message. Contrairement à ce que beaucoup (dont moi) pensaient, le film n’est pas un long-métrage pro-gay. Il comporte néanmoins quelques scènes avec un parti-pris assez clair (le contraste entre la famille d’Emma et celle d’Adèle) mais le sujet central du film est loin d’être celui-ci.
Maintenant, parlons DU point fort de « La Vie d’Adèle : Chapitre 1 & 2 » : son interprétation. Après avoir longtemps réfléchi, je pense bien que je n’ai jamais vu un film aussi bien joué de ma vie. Que ce soit Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux, Jérémie Laheurte, ou même les élèves de maternelle dont s’occupe Adèle, pas un seul acteur de tout le film ne joue mal à une seule scène. Et pourtant, je ne croyais pas du tout, au vu des premières images, au jeu d’Adèle Exarchopoulos. En gardant la bouche ouverte les ¾ du temps, je la voyais aisément devenir notre Kristen Stewart française. Mais contrairement à cette dernière, Adèle sait dégager des émotions et n’est pas shootée pendant tout le film. Quand elle rit, on rit, quand elle pleure, on pleure, quand elle baise, on se branle (sans déc, personne ne pourra résister) ! Son jeu est juste parfait et Adèle Exarchopoulos est sans aucun doute l’actrice que je vais suivre de près durant les années à venir.
Évidemment, comme quiconque s’intéressant un tant soit peu à l’actualité cinématographique, je suis au courant des 303 heures de rushes et des conditions abominables du tournage du film. Mais honnêtement, s’il faut autant de prises pour réussir à obtenir de telles performances, je pourrais presque encourager Kechiche à continuer ainsi.
Kechiche a d’ailleurs particulièrement soigné l’ambiance générale de son film (« I Follow Rivers » et la musique de fin vous resteront en tête pas mal de temps), et sa mise en scène, tout comme l’esthétique du long-métrage, sans être exceptionnelle reste très soignée.
En bref, « La Vie d’Adèle : Chapitres 1 et 2 », adapté du « Bleu est une couleur chaude » est un film que je vous recommande chaudement (il fallait bien que je la fasse), et qui va sans doute faire son entrée dans la liste de mes films préférés. À voir absolument !