"La bouillabaisse, c'est la partouze des poissons." (Gérard Depardieu/ Georges Devereaux
Une histoire inspirée d'un fait-divers sordide, une campagne médiatique jouant sur l'aspect scandaleux et choc du film, une bande-annonce dont on ne retenait que les scènes de sexe : c'est peu dire que Welcome to New York pouvait susciter le scepticisme. On croyait avoir affaire à un objet vain et vaniteux, dissimulant derrière sa provocation tapageuse une profonde vacuité, et qui, bien loin de sa promesse de "film-choc de l'année" retomberait très promptement tel un pétard mouillé.
Une bonne partie de la presse lui était d'ailleurs déjà tombée sur le dos ; les accusations d'Anne Sinclair et l'intention de DSK d'intenter un procès au réalisateur Abel Ferrara et au producteur Vincent Maraval - alors même qu'il n'a pas vu le film - donnaient aussi, d'ores et déjà, une mauvaise image du film au spectateur.
Le film nous paraît pourtant mériter un peu plus de considération et d'intérêt que le traitement dédaigneux et avilissant auquel il a eu droit. Outre ses conditions inhabituelles de visionnage (seulement sur Internet en vidéo à la demande et non en salles) - qui feront sûrement date dans l'histoire de l'exploitation et de la distribution des films - ce Welcome to New York se révèle (bien) davantage que la simple provocation grossière et bas de gamme à laquelle il a été souvent réduit.
Le premier écueil dans la réception du film de Ferrara nous semble avoir été de s'attarder sur son adéquation (ou non) au fait divers dont il s'inspire, celui de l'accusation de viol d'une femme de ménage afro-américaine vis-à-vis du directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn en mai 2011. La décision - prise par Abel Ferrara et Christ Zois, auteurs du scénario - de changer les noms des protagonistes (Georges Devereaux pour Dominique Strauss-Kahn, Simone Devereaux pour Anne Sinclair) est à elle seule éloquente.
Plus qu'une simple évocation d'un fait-divers, Welcome to New York nous semble au contraire une fable sur la vanité des plaisirs de la chair, et la tristesse de la jouissance physique. Ce n'est pas un film sur DSK (en particulier), mais sur la tristesse de la chair et de ses plaisirs (en général). Rarement (enfin cette année aussi dans le diptyque Nymphomaniac de Lars Von Trier), le sexe aura été aussi triste au cinéma !
On peut certes déplorer plusieurs défauts : un scénario parfois simple voire caricatural, des scènes d'orgie pas toujours inspirées - avec leur côté porno amateur, leur fondus enchaînés racoleurs et leur mauvais éclairage -, des longueurs par-ci par-là (le film dure tout de même deux bonnes heures), une mise en scène qui, parfois, lorgne avec un mauvais téléfilm (découpage de temps en temps plan/plan dans les scènes de confrontation entre Devereaux et son épouse dans la seconde partie).
Néanmoins, c'est avant tout pour Gérard Depardieu l'occasion de revenir sur le devant de la scène avec un rôle vraiment digne de ce nom - pas une apparition ou une caricature de lui-même dans un navet français, américain ou russe, mais un rôle, un vrai. Mis à part des grognements de jouissance porcins dont on aurait aisément pu se dispenser dans la première partie consacrée à ses orgies dépravées, l'acteur crève l'écran avec une simplicité et une évidence désarmantes. Plus que jamais, il s'impose comme un acteur qui ne se protège pas, et ne prend pas de filet lorsqu'il joue. Belle est cette absence totale de protection, beau sans conteste ce don illimité de soi. C'est par ailleurs avec un incomparable panache que Depardieu sait rendre l'infinie tristesse de la chair ; car si, dans ce rôle, il se montre grossier, pervers, cochon, malsain, il a aussi cette part de grandeur qui parvient à élever au tragique la destinée de Georges Devereaux, le personnage qu'il interprète, et qui confère à son jeu une grande richesse et une grande densité. A cet égard, la dernière scène du film est tout simplement magistrale. Après s'être longuement confronté avec son épouse en huis-clos et lui avoir en vain expliqué que rien (ou presque) de ce dont on l'a accusé ne s'est vraiment déroulé, Devereaux se retrouve seul avec une autre femme de ménage, une hongroise du nom de Martha, auprès de laquelle il entreprend une nouvelle fois la même tentative d'approche, par habitude mécanique, oisiveté prolongée ou cynisme. La tentative d'approche se solde par un échec, et le film se finit de manière forte et poignante par un regard-caméra de Depardieu/Devereaux/DSK, à la tristesse vertigineuse et abyssale qui nous prend à témoins... Dans ce regard semblent se mirer mille choses, et avant tout la conscience de la vanité de tout ce qui a été filmé et vu par le spectateur précédemment : les cocktails "vodka - viagra - glace", les parties de fesse interminables, les éjaculations multipliées au milieu de la nuit, la blague vulgaire faite au petit ami de sa fille sur la bouillabaisse - qui serait, pour reprendre son analogie hautement raffinée et poétique, en tous points égale à "une partouze de poissons"... Ce regard-caméra opère en somme comme une confession, bouleversante et très forte faite à l'égard d'un spectateur, qui a assisté à la chute que le film a dépeint.
Ce ne sont donc pas ses défauts qui demeurent le plus prégnants. Bien plus qu'un film de seconde zone racoleur et grossier, Welcome to New York parvient en effet - par certains moments de magie dans la mise en scène de Ferrara et l'interprétation de Depardieu, bien secondé par une impeccable Jacqueline Bisset, et par une grâce tout autant mystérieuse que fragile - à atteindre par intermittences une notable puissance, voire la grandeur et l'ampleur d'une tragédie shakespearienne étouffante et d'ailleurs toute en huis-clos, ce qui rend entre parenthèses son titre d'autant plus ironique.
critique parue sur le site inthemoodforwatchingmovies.blogspot.fr)