Un film verbeux mais intelligent, aux dialogues ciselés, émaillé de considérations métaphysiques sur le caractère très vain de l'existence, surtout lorsque l'on oeuvre dans certains corps de métier. Un film elliptique, un peu secret, un peu caché, languissant et très, très sombre. La scène qui précède le générique contient en germe le film dans son entier : deux corps, dissimulés sous des draps, égarés au sortir du sommeil, qui finissent par s'étreindre et tendre vers la petite mort. Tout est là : l'opacité prononcée à travers laquelle l'intrigue avance, avec ce Cartel pourtant au coeur du film mais qui sans cesse se dérobe, et dont on ne verra finalement que quelques sbires çà et là, laissant juste deviner le caractère proprement monstrueux de cette organisation. L'égarement du spectateur, c'est d'abord celui du conseiller, figure anonyme et quasi allégorique du naïf en costume Armani croyant pouvoir s'improviser trafiquant, et qui va rencontrer une réalité crue, nue et horrible qui jusque à présent évoluait parallèlement à la sienne, cachée. Cette scène préambule met aussi en exergue la femme et le sexe ; loin d'être associés à la vitalité, c'est leur caractère profondément mortifère qu'on ne cessera de clamer, et qui causeront la perte de tous les protagonistes du film. Cameron Diaz en maximum over bitch, cougar, effrayante, prédatrice, est saisissante de calcul à froid et de cynisme, fascinante mais absolument pas bandante, comme le montre la scène où elle chevauche la Ferrari, dans laquelle le malaise l'emporte de beaucoup sur l'excitation. La femme, éternelle victime, comme les disparues de Ciudad Juarez, sait aussi se hisser au sommet de la chaîne alimentaire. De même que le film à le cul chaste et triste, la violence y est diffuse, sourde et atténuée, et d'autant plus efficace. Le comble de l'horreur résidera dans le seul plan d'un cd gravé, et les rarissimes fusillades font ressortir tout l'arbitraire, la sécheresse et la violence d'un véritable échange de tirs. La violence, la mort, n'ont en réalité aucune espèce d'importance. Elles ne résultent pas, comme il est dit par le "sage" Pitt, d'une rage qui soudain explose, d'une compréhensible fureur, mais de simples calculs comptables glacés. Forme nouvelle de marketing. Je comprends que le film décontenance ou déplaise, car au fond il n'y a pas vraiment d'évolution des personnages, si ce n'est la simple résignation face à la mort de toute chose ; pas de trajectoire bien établie, d'ascension, d'acmé ni de chute : juste un unique mauvais choix, fait au début du film, conditionnant tous les événements à venir. Il y a une pureté quasi tragique dans tout cela, où des narcos philosophes, lettrés et policés, remplaceraient les dieux dans leur entreprise pour broyer l'existence des mortels. Tant d'abstraction pourrait tendre à l'inanité, heureusement les acteurs prêtent chair à leur personnage, Bardem en Tony Montana du pauvre, tanné, chevelu et dépassé ; Pitt en trafiquant goguenard, croyant être revenu de tout, ou presque ; Fassbender, enfin, parfait en avocat sexy dont le monde classieux et épuré va être balayé d'une chiquenaude. Moins que No Country (le rythme alangui, la situation géographique) ou que Cogan (une criminalité réaliste et poisseuse), le film m'a rappelé Miss Bala, avec son personnage charrié par le cours d'événements qui la dépassent, et surtout portrait crasseux d'un certain Mexique en proie à la plus totale déshérence morale.