Le pari risqué de Ridley Scott, s’associant au célèbre dramaturge américain Cormack McCarthy, n’aura pas, d’un point de vue critique, porté ses fruits. Si pour ma part j’ai trouvé le travail associatif entre ces deux figures, cinématographique et littéraire, pour le moins fructueux j’admets cependant que The Consuelor n’est certainement pas le film attendu par la majorité. Annoncé comme un hit d’action dans la lignée de la série Breaking Bad et du très didactique Trafic de Steven Soderbergh, voilà que débarque un film nihiliste au possible qui ne prend jamais la peine de ménager un public non-averti préalablement de son contenu. Monologues philosophiques sur le sens de la vie, sur l’acte sexuel, scènes d’échanges bavardes n’ayant rien à voir avec le tissu narratif, longues parades d’aisances de la part de personnages que l’on ne situe que difficilement dans le récit, Cartel n’est jamais facile d’accès. Pour autant, ceux qui connaissent, qui adhèrent, aux tribulations pessimistes du romancier dramaturge qu’est McCarthy, ne pourront pas s’étonner de l’allure que prend le film.
Le casting cinq étoiles aspire lui aussi à attirer le public en masse. Rien de moins que Michael Fassbender, Javier Bardem, Brad Pitt, Pénélope Cruz et Cameron Diaz, entre autres, n’auront pris part à cette délicate dissertation sur l’atrophie de l’espèce humaine. Soyons clairs, si Scott et McCarthy situent la narration dans le domaine des cartels de la drogue, c’est bien pour dénoncer l’appât du gain de chacun dans un business des plus lucratifs. Chacun, obsédé par sa richesse, par ses soucis financiers, fait l’impasse sur toutes les bonnes mœurs pour devenir une sorte de monstre individualiste, fait entraînant dans son sillage son lot de drames impondérables. La richesse n’est jamais dissociable de la violence, le succès de crime. L’on reconnaîtra alors aisément l’élan défaitiste de l’écrivain, qui se pose depuis des décennies comme l’homme dressant les portraits les plus noirs de notre espèce. Chaque acte entraîne des répercussions, ici souvent très sombres. Les dialogues, quant à eux, ne résultent pas d’une écriture propre au cinéma mais bel et bien d’un roman noir, haut fait d’une littérature dramatique qui laissera sans doute une bonne partie du public sur le bord de la route.
Alors que les frères Coen et Jon Hillcoat on parfaitement su adapter des récits de Cormack McCarthy sur les écrans, c’est simplement parce que les réalisateurs ont dissocié littérature et cinéma lors de leurs processus de narration. Ce ne fût pas le cas chez Ridley Scott qui prend simplement la place du metteur en scène sous le joug du romancier. Je ne peux, pour ma part, pas accabler le célèbre réalisateur britannique, qui selon moi, fait un énorme travail sur le tournage de Cartel. Oui, si la narration et l’absence de rayonnement divertissant ont fait de Cartel un échec commercial, le film n’en reste pas moins un franc succès technique et artistique. L’on constate très vite que Scott n’a pas perdu la main en termes de mise en scène, une bonne partie de ses plans étant excellents. Les interprétations, elles aussi, sont fantastiques, celles de Fassbender, bien sûr, mais plus surprenant, surtout celle de Cameron Diaz, actrice que l’on avait depuis longtemps, voir jamais, vue aussi charismatique. Notons que la place des femmes dans les écrits de McCarthy est prépondérante à sa vision du monde. L’écrivain ne voie pas le beau sexe comme nos égaux mais comme des déesses côtoyant l’homme pour se divertir. Cela se ressent incessamment dans le film de Ridley Scott.
Sans doute voué à devenir un film culte pour des raisons incomprises, sans nihilisme extrême, notamment, le dernier né de l’écurie Scott Free, en l’hommage du frère décédé, est selon moi un monument de noirceur, un film si particulier qu’il ne peut s’adresser qu’à une toute petite partie des téléspectateurs. Si j’ai moi-même apprécié l’œuvre, je ne peux que comprendre le mépris de certain pour un film qui ne permet jamais le sourire, la gaieté et qui s’évapore souvent dans des monologues psychologiquement délicat. Faut aimer, comme dirait certain. Beau travail de la part du réalisateur, qui dans un sens, s’approche un tantinet des tribulations philosophiques de son Prometheus. Avis aux amateurs. 15/20