Chaque nouveau film de Ridley Scott ramène dans les salles ses nostalgiques de Blade Runner ou d'Alien.
Et depuis quelques années chacun de ses films nous en éloigne un peu plus.
Aussitôt Cartel commencé, on sent que la première heure servira à poser l'intrigue, présenter les personnages, laisser aux acteurs le temps de cabotiner, nous montrer les zones désertiques de la frontière américano-mexicaine qui semblent incontournables depuis quelques années pour appâter le chaland.
Jusque-là rien d'anormal dans un film de 3h.
Ah, celui-ci n'en fait même pas 2 ? Qu'à cela ne tienne, on sait que l'heure qui suit va être d'une densité incroyable, pleine de rebondissements, de confrontations, de scènes et de punchlines mémorables.
Hélas on en demande visiblement trop : un gros quart d'heure de rythme où les intrigues se rejoignent, où, soyons francs, l'on comprend enfin ce qu'il se passe, et l'intensité retombe pour laisser la place à une conclusion brouillonne associée à un espèce de plaidoyer larmoyant contre la méchanceté du monde, bouh.
Pour une raison inconnue, le réalisateur passe un temps fou en plans séquences où des personnages qui ont vraisemblablement chacun un sacré passif ainsi qu'un background commun échangent des propos sibyllins, multiplient les private jokes qui nous passent à cent lieux, voire s'amusent à se faire peur en racontant quelle est l'exécution à la mode à Ciudad Juarez. Certains scènes sont réussies, la plupart extrêmement ciselées, mais cette recherche effrénée voire parfois poussive de moments cultes entre grands noms du cinéma ne prend pas et on éprouve même un certain malaise à voir Javier Bardem, Brad Pitt et Cameron Diaz en rajouter jusqu'à l'autoparodie.
Là où le bât blesse, c'est que cette heure ne semble pas du tout suffisante pour nous les faire vraiment connaître tous ces seconds rôles qui sont apparemment une belle bande de psychos et qui devraient donner du tonus au film, et donc lorsque certains se font dézinguer, on n'en tire véritablement aucune émotion.
On a l'impression qu'il faudrait dix fois plus de temps à Ridley Scott pour développer convenablement les liens qui unissent les protagonistes, créer la toile de fond, développer l'ambiance électrique d'une contrée sans foi ni loi. Hélas il n'a pas le format dont bénéficiait Vince Gilligan dans Breaking Bad - la comparaison avec les bonnes séries actuelles et celle-ci en particulier ne peut s'empêcher de venir à l'esprit, surtout qu'on croise Hank Schrader - le roman de Cormac Mac Carthy méritait sans nul doute une durée d'exposition plus longue.
Alors si au bout d’un moment les éléments de l'intrigue se mettent globalement bien en place et que la tension monte d'un cran, elle retombe tout aussi rapidement après le premier mort.
Et c'est là où réside le deuxième défaut de Cartel : le message qu'il souhaite faire passer.
Si on veut faire une histoire somme toute classique de quelques aventuriers modernes bien classes qui s'apprêtent à monter un coup pour pouvoir continuer à s'acheter de belles sapes, offrir des diamants à leurs meufs, maintenir une street cred, et qui vont se faire doubler puis finir zigouillés à cause justement de ces femmes qui sont leur point faibles, why not, ça cassera pas des briques niveau portée artistique, mais ça a servi de trame à de nombreux bons divertissements.
Le problème c'est que l'on bifurque tout d'un coup dans une sorte de diatribe politique, de condamnation de l'horreur quotidienne, de la banalisation de la violence et du déni de la vie humaine.
Soit, le message est louable bien qu'un peu évident, et s’il peut parfois pâtir de certains alourdissements comme les références aux snuff movies ou la présence des guépards apprivoisés de Bardem – sans doute un douteux parallèle entre les personnages et de grands fauves solitaires -, le jeu de Michael Fassbender est crédible dans l’errance hagarde et le désespoir où le plonge les méthodes sanguinaires du cartel .
Mais pourquoi un tel revirement dans le scénario ? pourquoi un tel angle de réflexion apparaît-il au moment même où la tension dramatique aurait du s'emballer, le tout au détriment d'une fin claire et construite ? Cet angle saborde totalement la fin du film, les liens entre Cameron Diaz, Brad Pitt et le Cartel dans la récupération des dollars sont au mieux sous-entendus, au pire complètement nébuleux.
J'ai presque envie de croire que Ridley Scott a été obligé de raccourcir la deuxième partie de son film pour des histoires de contrainte budgétaires.
Au final on a l'impression d'avoir vu un polar d'1h20 dont la fin a été remplacée par 30mn d'Enquêtes Exclusives avec Marie-Ange Casalta.
Et en conclusion je pose la question qui tue : pourquoi The Counselor ? le héros aurait pu être tourneur-fraiseur au lieu de conseiller juridique que ça n'aurait pas beaucoup changé l'histoire du film (je ne sais pas dans le livre).
Quand un titre français apparaît plus clair que le titre original, c'est signe qu'on peut passer son chemin.