Le titre The Counselor renvoie à la fois à la profession d’avocat, exercée par un protagoniste principal dépourvu de nom, et à la qualité de conseiller qui ne cesse d’être redistribuée parmi les personnages du film : « amis », prêtre au confessionnal, gérant d’une gargote mal famée. La structure adoptée par Ridley Scott semble ainsi celle d’un kaléidoscope de points de vue sur l’existence et sa vacuité fondamentale, à l’image du diamant exposé au début et qui sert de métaphore filée pour désigner la femme fatale par le biais de la parure. Car le moyeu véritable autour duquel gravitent les trajectoires individuelles s’incarne en la personne de Malkina, femme insaisissable et dangereuse qui profite de la faiblesse des êtres humains pour s’enrichir. Elle est son propre joyau, elle tire d’elle-même sa puissance ; aussi sa cruauté et son appétit la placent-ils sur le même plan que les deux jaguars qu’elle a domestiqués et qu’elle lâche en plein désert pour chasser le lièvre. Cette force intérieure, cette détermination à réussir au détriment des autres, elle les tire d’une fêlure secrète esquissée lors de sa première apparition : un homme qu’elle a aimé et qui n’est plus là. C’est dire que si la mort affecte les individus et les marque au fer rouge d’un chagrin immuable, elle leur fait également prendre conscience qu’ils sont les seuls maîtres à bord pour gouverner leur destinée. Telle est la leçon transmise à l’avocat par un « ami » et conseiller : « vous êtes le monde que vous avez créé ». Dès lors, comme « le chagrin n’a aucune valeur », il convient de le convertir en instrument de réussite et de profit : l’épreuve de la mort enterre les scrupules et la mauvaise conscience. Voilà appliqué en philosophie de vie le précepte délivré par le diamantaire d’Amsterdam, interprété par Bruno Ganz : puisque « les imperfections du diamant conditionnent son degré de pureté », il convient de se montrer le plus imparfait possible, d’oser la beauté dans ce qu’elle a de plus vénéneuse et fatale parce qu’elle révèle une acceptation de la mort – la beauté articulant l’éternel et le transitoire, cf. Baudelaire – et donc une noblesse. « Il n’est pas anodin, même si c’est vain, d’aspirer au destin d’une pierre précieuse ». Épaulé par le romancier Cormac McCarthy qui signe le scénario, Ridley Scott pousse ainsi le cynisme et le nihilisme dans leurs retranchements les plus extrêmes, se complaît dans une violence déshumanisée et déshumanisante : les exécutions s’enchaînent et se distinguent les unes des autres par leur créativité. Il semble motivé par la perte de son frère Tony, qui a eu lieu un an auparavant : nous percevons un mélange de rage, de dégoût et de lassitude. Cela garantit-il pour autant la réussite de The Counselor en tant qu’œuvre de cinéma ? La mise en scène de Scott manque de rigueur et paraît mimétique de celle de son frère : une photographie sale, des lumières jaunâtres rappelant Domino (2005), un schéma narratif proche de Man on Fire (2004), un milieu de cartels de drogue en écho à True Romance (1993). L’ensemble s’avère confus et bancal, mais tire de ces défauts un éclatement réaliste de son récit : il adopte le diamant comme principe narratif et esthétique. Un hommage audacieux qui se prolongera dans Exodus: Gods and Kings (2014), explicitement dédié à Tony Scott, par l’importance accordée à la thématique de la fraternité et de la famille.