Tellement décrié qu'il ne m'en attirait que davantage, ce Cartel, The Counselor pour la VO, est à peu près ce que j'imaginais : un film noir et sans concessions qui doit autant à Cormac McCarthy (au script pour la première fois) qu'à Ridley Scott. Trop nombreux sont malheureusement ceux qui n'ont rien compris à la visée de son scénario, certes très difficile d'accès. On y reconnaît parfaitement la veine nihiliste et pessimiste du prix Pulitzer McCarthy, ses envolées sanglantes magnifiées par le talent de Scott qui s'offre ici une petite cure de jouvence, adoptant un parfait compromis visuel entre esthétisme et volonté de coller au récit. La narration elliptique est intelligente, et le fait qu'elle shunte bon nombre de passages (pas toujours accessoires, d'où un certain agacement chez bien des spectateurs) m'a semblé à merveille exprimer la réalité d'un monde où il n'y a souvent rien à dire et rien à comprendre, et où on chercherait en vain des liens de causalité. Les punchlines de McCarthy témoignent autant de son talent que de ses obsessions, et les déchiffrer est un réel plaisir. Un plaisir décuplé par les stars qui se les envoient, toutes étincelantes et loin d'être là simplement pour apporter leurs prestigieux noms au générique. Cameron Diaz, vipérine, sort du lot c'est vrai, mais avec Bardem et Fassbender, elle trouve quand même à qui parler. La douceur de Penelope Cruz fait le reste. Quant à Brad Pitt, son charisme ne manque pas de provoquer mon admiration habituelle. Et si placer des stars si renommées en tête d'affiche peut sembler tout avoir du simple coup de com, je trouve au contraire que rendre tout ces cadors impuissants face à la brutalité du message et de son application scénaristique renforce encore le propos, si besoin était. Ben oui, les déboires de Brad Pitt me marqueront toujours plus que ceux d'un acteur de seconde zone. Il en va de même pour le faste et l'opulence des décors, qui rappellent que la folie manipulatrice et brutale n'est pas uniquement l'apanage du pauvre, et que même quand leur survie est assurée en même temps que leur confort, les hommes trouvent sans problème des motifs pour s’entre-tuer. Et les dialogues qui s’enchaînent et parfois se répètent ne sont pas là que pour le simple plaisir de pérorer (ni même celui, pour McCarthy, d'étaler sa science du verbe) mais pour renforcer le sentiment d'attente et d'inexorabilité, ce qui a parfaitement fonctionné sur moi. Alors certes c'est décousu, certes c'est bavard, certes c'est opaque, mais n'y voir qu'une coquille vide, c'est à la fois faire l'aveu de ne pas avoir compris (je ne prétends pas avoir tout saisi de A à Z, et heureusement dans un sens !) et aussi l'aveu de sa mauvaise foi. Comme un Spring Breakers, il me semble ici avoir l'image typique d'un film incompris qui s'est trompé de public. Tout n'est pourtant pas à jeter, loin de là. En fait, ce serait plutôt l'inverse.