Après une mise en place physique, écrasée par la chaleur, dans la moiteur des siestes siciliennes, un petit monde se révèle au spectateur. Le village est cadenassé par les hommes, qui occupant toutes les places « stratégiques », c’est à dire les cafés et les bancs, s’occupent en matant les femmes qui passent et en persiflant, tout en se faisant les gorges chaudes des malheurs des uns comme des autres. C’est qu’ils sont garants du seul trésor de cette terre déshéritée : l’honneur. Don Vincenzo Ascalone, personnalité de cette petite ville, craint et respecté, focalise tous les regards et commentaires fielleux, car pendant la sieste quotidienne, Peppino, le fiancé de sa fille Mathilde, a séduit et engrossé sa petite sœur Agnese, âgée d’à peine quinze ans. Il refuse de l’épouser, car on n’épouse pas une traînée qui a perdu sa virginité. Commence alors pour Don Ascalone une course haletante pour sauver ce qui est encore sauvable tout en infligeant à sa fille Agnese un chemin de croix infernal. Systématiquement battue et humiliée, enfermée, réduite au silence et à la soumission, vêtue de noir, le regard perpétuellement dirigé vers le sol elle subira une cruauté ultime lorsque Peppino l’abandonnera en pleine campagne, puis la rappellera comme un animal domestique, la ramenant à son sort sans espoir. Cette histoire imaginée par Pietro Germi et Luciano Scarpelli bénéficia lors de la scénarisation des fameux Age et Scarpelli, grands artisans du cinéma comique transalpin. Malgré leur apport se traduisant par de nombreuses situations comiques et des répliques bien senties, le film tient plutôt de la farce sinistre. Après « Divorce à l’italienne » Germi réalise avec « Séduite et abandonnée » une nouvelle fois une histoire d’honneur dans une petite ville de Sicile. Mais la finesse ironique a laissé la place à une charge féroce, au rythme haletant, tenant plus de l’équarrissage à la hache que du fleuret moucheté. Le film se termine sur une statue où est gravé « ONORE E. FAMIGLIA ». Honneur et famille, c’est justement les deux objets de l’entreprise de démolition orchestrée par le cinéaste. Saro Urzi, son fidèle ami, habitué aux seconds rôles importants, interprète magistralement (prix d’interprétation masculine à Cannes) cet ignoble père à l’apparente bonhomie, dont les plans foireux aliment la machine infernale. Stefania Sandrelli qui n’avait pas encore dix huit ans, incarne cette victime niaiseuse et parfois consentante avec une grâce et une fragilité attendrissantes. Comme souvent chez Germi les seconds rôles sont intéressants, imposant un casting soigné, avec une mention pour Leopoldo Trieste (l’amant de « Divorce à l’italienne ») dans le rôle du baron miséreux. Enfin la partition de Carlo Rustichelli est remarquable, avec un étonnant pastiche du « Degello » de Dimitri Tiomkin (Germi était un grand admirateur du cinéma américain), qui inspira sans doute la musique d’Ennio Morricone pour « Et pour quelques dollars de plus ». « Séduite et abandonnée » est sans doute inférieur à « Divorce à l’italienne » dont la finesse et l’ironie (et Mastroianni) ont un impact supérieur à cette charge par moment pachydermique. Mais un chef d’œuvre reste une exception et en l’état ce film offre un très grand moment.