''Le projet Blair Witch'' est un film que nul historien du cinéma ne peut dédaigner. Pourquoi cela ? Premièrement, rappelons que ce film (sorti en 1999) est tout simplement le film le plus rentable qui soit ! Pour un budget microscopique de 25 000$, le film en a rapporté... 248 639 099$ !! L'explication est dû au marketing qui a été fait autour du film sur Internet. La rumeur voulait que ce film était un véritable documentaire et que les trois acteurs du film avaient bel et bien disparu ! Pour croire à cela, il devait y avoir une raison. Elle est très simple : le film adopte et popularisera le genre du found footage. Utilisé notamment dans le cinéma d'horreur, le found footage consiste à imiter l'esthétisme du cinéma amateur. Caméra à l'épaule, image de mauvaise qualité, son pas terrible... tout doit nous donner l'impression que nous sommes face à un documentaire, réalisé par les personnes que l'on voit dans le film.
Dans cette façon de filmer qui transpire l'amateurisme, l'intrigue importe peu. Le meilleur résumé possible reste l'intertitre : ''En octobre 1994, trois étudiants cinéastes disparaissaient dans les bois près de Burkittville, Maryland alors qu'ils tournaient un documentaire. Un an plus tard, on retrouva ce qu'ils avaient filmés''.
Certes, pour l'historien, ''Le projet Blair Witch'' est intéressant à étudier. Mais qu'en est-il pour le simple spectateur ou pour le critique ? Et bien c'est beaucoup moins enthousiasmant. D'abord, il faut pointer du doigt une certaine sournoiserie dans le projet lui-même, indéniablement malin, il est vrai. ''Le film est atrocement filmé, c'est normal puisque ceux sont des amateurs qui le filme'' semble nous dire les deux réalisateurs (et d'ailleurs, on se demande comment un film pareil a eu besoin de deux réalisateurs). C'est assez malhonnête d'autant plus que la peur devant naître du found footage ne nous atteint. Là encore, les réalisateurs partent d'un vieux principe intelligent du cinéma d'épouvante : suggérer plutôt que montrer. Et ils s'y cramponnent d'autant plus qu'il n'ont pas les moyens de nous montrer frontalement les choses. Mais utiliser un principe intelligent de manière stupide est le piège dans lequel vont tomber les deux cinéastes. Ils vont, tout le long du film, confondre les deux notions que sont ''suggérer'' et ''ne pas montrer''. La frontière ténue entre les deux est cependant fondamentale. Dans les grands films d'épouvante des années 40-50 (genre ''La féline'' de Jacques Tourneur ou, plus tardivement, ''La maison du diable'' de Robert Wise), les réalisateurs ne pouvaient montrer la source de la terreur (Code Hays oblige) mais pouvaient par un jeu de lumière ou d'ombre laisser entrevoir la créature. Et ce n'est même pas cela qui se produit avec Blair Witch. Se débarrasser d'effet choc est une bonne chose, se débarrasser de tous les effets chocs est nettement plus contestable. C'est malheureusement ce qui se passe avec ce film qui n'est jamais effrayant. Comme partout ailleurs, il faut privilégier le ''ni trop ni trop peu''. Et avec ''Le projet Blair Witch'', c'est hélas le trop peu qui en ressort. Mon Dieu, que cela ne fait pas peur ! Le plus terrifiant que l'on rencontre dans Blair Witch, c'est des cris d'homme torturé, du noir, des cailloux qui apparemment bougent tout seul et une tente secouée. On ne pourra pas au moins reprocher au film d'être dans une surenchère de l'horreur. Le film n'utilise pas des effets faciles, mais des effets navrants. Même la technique du found footage finit par se retourner contre son œuvre. D'abord présenté comme étant source de cinéma authentique, ''réel'', le found footage laisse hélas dévoiler toutes les coutures du cinéma. Ce qui a pour conséquence de nous rebuter et de nous tenir à l'écart des pérégrinations des trois héros (qui n'ont rien de bien passionnant). Pire, on peut carrément rester à la porte (en l'occurence, à la lisière de la forêt) pendant tout le film à cause de cette fausse façon de filmer, qui n'a rien d'engageant et de terrifiant. D'autant plus que la caméra filme les trois quart du temps... des feuilles, des feuilles, un arbre et encore des feuilles !
Il est donc impossible d'avoir peur. Pour avoir peur, il faut, c'est le plus important, oublier que nous sommes spectateur. Or, avec ''Le projet Blair Witch'', on nous rappelle à chaque seconde qu'on est spectateur ! Au bout de 40 minutes, on se résigne en sachant qu'on n'aura jamais peur, que la phrase sur l'affiche, ''on n'a pas eu autant les jetons au cinéma depuis « Shining »'' pue l'arnaque et qu'il reste encore une bonne moitié de film à visionner. C'est alors qu'on se met à voir le film sous un autre angle. Qu'on se met à observer avec un ricanement sadique les aventures absolument palpitantes des trois héros qui, eux, finissent vraiment par avoir peur. Qu'on se met à rire des crises de nerfs des trois personnages qui ont faim, froids, peur... La question est de savoir si ce 2eme degré est volontaire ou non. Et avant qu'on ait trouvé la réponse, la scène finale arrive, mystérieuse et énigmatique, que chacun s'il le désire ou non (et pour nous c'est non) pourra interpréter à sa guise.
Rares sont les films à être plus intéressant par rapport à ce qui les entoure (marketing, rumeur, chiffre) que par rapport à ce qu'ils sont vraiment. ''Le projet Blair Witch'' en fait partie.. Et malgré tout le boucan qui est (toujours) fait autour de cette œuvre (d'art?), on aura vite tendance à rebaptiser ''Le projet Blair Witch'' ''Le projet Blaireau''. Car le degré de peur que l'on ressent devant ce film est très inversement proportionnel à celui ressenti devant ''Shining'', évoqué sur l'affiche. On pourra toujours se consoler en regardant le film au second degré (le film aurait d'ailleurs dû tenter les rires enregistrés par moment). Il est donc intéressant d'en parler, beaucoup moins de le voir.