Ce film devenu un immense classique allie les qualités du film d'auteur à celles du film grand public, c'est le film français que j'ai le plus vu depuis une trentaine d'années et que je me repasse sans problème au moins une fois par an, même si j'en connais les répliques par coeur. Comment oublier ses scènes mythiques aux dialogues qui n'y vont pas avec le dos de la cuillère ? Comment oublier le duo Gabin-Bourvil ? La scène du café est probablement la plus intense parce Gabin déchaîné balance ses 4 vérités à tout le monde, avec ce ton agressif et grinçant qui fustige la lâcheté du "mauvais Français" et l'avachissement collectif, et en décochant son très décapant "salauds de pauvres!". La sortie n'est pas en reste : "Et vous affreux, j'vous méprise, j'vous chasse de ma mémoire, j'vous balaie !"... La scène de la cave chez le charcutier Jambier est aussi mémorable, où Gabin encore éructe "Jambier ! Jambier ! 45 rue Polyveau !"... Dans cette scène féroce et en même temps follement drôle sous sa carapace de trafic et de marché noir, De Funès pas encore vedette, est très bon face aux 2 monstres sacrés qu'il a en face de lui. On retrouve donc dans ce film un ton cruel, amer, à travers une peinture réaliste et parfois honteuse d'une certaine mentalité française dans les années sombres de l'Occupation. Bourvil représente de façon admirable le pauvre type timoré et pitoyable, écrasé par la vie ; un rôle qui marqua une étape dans sa carrière, alors qu'il était cantonné aux rôles de naïfs ou de paysans idiots. Gabin, c'est l'intellectuel anarchiste, cynique et pas commode qui s'essaie par jeu ou esprit de dérision, à faire une expérience, sans se soucier d'idéologie ou de politique, pour "voir jusqu'où on peut aller". Cette reconstitution sociale et historique déguisée en farce satirique époustouflante, truculente, outrancière jusqu'à l'épique, et sur la fin, bouleversante, reste incontournable, bref c'est un véritable chef-d'oeuvre du cinéma français.