Deux hommes qui ne se connaissent pas traversent Paris sous l'Occupation avec des valises remplies de porc de contrebande. Ils ne s'apprécient pas vraiment, mais ont la vie de l'autre logée dans l'anse de leur valise. La Traversée de Paris, un film tellement cité (et mal, la plupart du temps : c'est "Jambier", pas "Janvier") qu'on a l'impression de le connaître, mais quelle terrible erreur. La Traversée de Paris, ce n'est pas seulement (si l'on peut dire "seulement") la réunion de trois monstres sacrés du cinéma français que sont Bourvil, De Funès (bien jeune) et Jean Gabin, dont seul ce dernier était déjà bien établi dans son rôle de star bouffe-écran. C'est une lutte sans merci que livre Bourvil à Jean Gabin pour tuer sa propre aura de vedette de comique paysan (sa filmographie jusque-là), tout en imposant son personnage dramatique aux côtés d'une star au style gueulard qui fonctionne à tous les coups et qui met ici le paquet. Tandis qu'on vérifie qu'on n'est pas sourd en fin de film, on essuie au passage la petite larme qui nous a échappée devant la scène finale. On s'est fait avoir, et pour une fois, on est trop content de s'être fait si bien duper. Si le début bruyant, avec un De Funès décidément pas à l'aise avec ce rôle (il explosera dans la comédie et le théâtre de vaudeville, bien évidemment), avec un pincement au cœur devant la brutalité de la tuerie du cochon, avec une histoire qui semble toute tracée, nous a moins plu, la suite nous a lentement conquis, montant en puissance dramatique et en émotion (muette) entre les deux personnages, jusque dans les dernières minutes où l'on ne cligne pas de l’œil pour vérifier que les deux s'en sortent. Mais, en plus de voir le prodigieux effort de Bourvil (on sent qu'il veut jouer sa future carrière sur ce rôle), en plus de l'évolution touchante de ce binôme, en plus des scènes tendues de la fin, en plus de nous avoir (en l'espace de quelques minutes) brisé le cœur (
Bourvil qui s'efface dans la camionnette direction une mort certaine, en lançant des "Et moi ?! Et moi ?!"...
On ne s'en remet pas) et fait bondir de joie (
lorsque les deux personnages se retrouvent, heureux, avec un dernier trait d'humour : "Alors, toujours à porter des valises ?" / "Eh oui, celles des autres !"
, on rigole en essuyant sa larme, on ne sait plus où on en est), en plus de tout cela, vous pouvez profiter d'un noir et blanc somptueux, qui aime à jouer sur les ombres (avec l'apogée qui est ce jeu de distances qui fait grandir les ombres de Gabin et Bourvil au fur et à mesure qu'ils tentent de
s'échapper et se font prendre devant la boutique, à un pas de la réussite...
La forme souligne le fonds tragique). La Traversée de Paris est un film qui monte lentement en puissance, préférant peu à peu les non-dits touchants aux engueulades, puis nous souffle dans le final, méritant sa place parmi les grands films français.